Rencontre avec
une grande figure du Noble art algérien
Mohamed Guenif :
Le faiseur de champions
Pour beaucoup d’amateurs de boxe, le nom de Mohamed Guenif
restera toujours attaché au triomphe et au succès de Mohamed
Benguesmia sur le ring. En effet, M. Guenif en sa qualité de
manageur et de promoteur, est pour beaucoup dans l’incroyable
success story de Benguesmia qui a redonné à la boxe algérienne
ses lettres de noblesse.
Par Semmar Abderrahmane
A l’heure où l’Algérie basculait
dans l’extrémisme avec son lot quotidien de violences
criminelles, M. Guenif inculquait sur le ring à des dizaines de
jeunes de Boufarik les valeurs humanistes du Noble art. Pour
lui, sans aucun doute, le salut de la patrie ne pouvait venir
que de ce sport qui enseigne avant tout le respect et la
dignité. Sa passion pour la boxe n’a d’ailleurs d’égal que
l’amour qu’il porte à ses amis et à sa ville natale très chérie
: Boufarik.
Le rendez-vous est d’ailleurs pris
dans son fief où il a accepté de nous raconter son
extraordinaire saga qui l’a mené jusqu’à la cime des honneurs
de la boxe mondiale. Néanmoins, celui qui a reçu en 2003 de la
part de la W.B.B américaine un Oscar en tant que meilleur
promoteur de boxe dans le monde, n’a rien perdu de sa modestie
et de son humilité. Bien au contraire, l’homme a toujours su
comment rester lui-même malgré la folie des moments qu’il a
vécus ces dernières années. De la folie, il en fallait pourtant
pour croire qu’un jour il se hisserait avec son enfant protégé
Benguesmia au summum mondial du Noble art. Ni la
quasi-inexistence de moyens ni le total manque de soutien ne
vont le décourager ou le briser dans son itinéraire héroïque.
Aujourd’hui, M. Guenif sort de l’ombre pour parler de son
aventure et de ses péripéties. En se donnant corps et âme à la
boxe, M. Guenif a tout sacrifié pour son rêve de voir l’Algérie,
son pays qu’il n’a jamais voulu quitter, honorée par les
performances de ses boxeurs. Ce rêve, pour ainsi dire, il a
réussi à le réaliser en faisant de Benguesmia un triple champion
du monde W.B.B et ce, en 2003, 2004 et enfin 2005. L’incroyable
palmarès de Benguesmia en dit très long sur le rôle primordial
qu’a joué M. Guenif au temps où il était manager. Mais la
brouille entre le maître et l’élève a tout gâché et de nombreux
grands projets sont dès lors tombés à l’eau. La rupture a été
très difficile à digérer pour M. Guenif, car touché dans son
«amour propre» le manager s’estime “trahi malgré tous les
sacrifices consentis”. Mais avant de parler du drame,
intéressons-nous d’abord à la comédie.
Du quartier au
ring
Ni la pluie ni le soudain froid
hivernal ne pouvaient ternir la chaleur de l’accueil et la
générosité avec lesquelles nous avons été reçus par M. Guenif et
ses amis dont un certain Amtout Zahir, champion d’Algérie de son
temps et l’une des grandes figures du Noble art de Boufarik.
Dans une maisonnette, située tout près de la très populaire «
Zenket El-Arab », qui sert de havre pour les anciens boxeurs de
Boufarik, M. Guenif se confiera à nous sans le moindre détour
pour raconter sa vie et son œuvre. «Je suis né le 26 juillet
1957 à Boufarik. J’y ai toujours vécu. Et quand vous grandissez
dans une ville comme Boufarik, vous versez logiquement dans le
sport. Boufarik de mon enfance aimait le sport et regorgeait de
grands sportifs. Mais avant le foot et le basket qui fait
aujourd’hui la réputation de la ville, c’est la boxe qui était
le sport roi, notamment dans le quartier où j’ai grandi : El
Ksari. On l’appelait d’ailleurs Houmette les boxeurs. Ainsi,
Bettache, Khléfi, Haddou et Selmani qui plus tard va créer la
section boxe du Mouloudia, étaient tous des enfants de Boufarik.
Ces noms prestigieux de la boxe algérienne m’ont toujours
inspiré de l’admiration. Tout adolescent donc, j’allais dans les
salles de boxe de la ville pour regarder les entraînements et
les combats. Comme j’étais toujours un assidu des entraînements,
l’entraîneur a alors accepté que j’intègre l’équipe» nous
raconte avec beaucoup de nostalgie M. Guenif.
A peine adolescent, M. Guenif
participe à des combats amateurs dans des galas à Blida,
Bou-Ismaïl, Alger et Boufarik. Grâce à ces manifestations il a
connu de grands boxeurs à l’image de feu Ould-Makhloufi,
champion d’Afrique 1975-76 et de feu Aouicha Ali, considéré à
l’époque comme étant un vrai éducateur du Noble art en Algérie.
Mais arrivé à la terminale, notre boxeur s’est vu obligé de
quitter la ville des Oranges pour rejoindre l’Institut supérieur
du tourisme à Tizi-Ouzou où il a étudié pendant 3 ans. Cet
éloignement de Boufarik ne lui a jamais fait oublier la boxe. Il
rejoint de ce fait le club de la ville des Genêts avec lequel il
effectuera une vingtaine de combats à travers toutes les villes
et tous les villages de la Grande-Kabylie. C’est à cette période
qu’il connut Hamani, l’un des plus grands boxeurs algériens de
l’histoire. A son sujet, M. Guenif demeure toujours intarissable
: «C’est un véritable maître. Il sait parfaitement déceler la
qualité d’un boxeur» nous dira-t-il.
Celui qui a lancé
la boxe professionnelle
Après ses études en Grande-Kabylie,
M. Guenif part pour travailler au Sud pendant quelque temps au
cours des années 80. De retour au bercail, il intègre le WAB de
Boufarik où il devient entraîneur puis dirigeant de la section
boxe. Vice-président aussi de la ligue de Blida, il eut l’idée
de lancer la boxe professionnelle conformément aux standards
internationaux. Dès lors, il prend en charge des jeunes boxeurs
qui deviendront pratiquement tous des champions. A titre
d’exemple, on peut citer Aouicha Ismaïl, champion d’Algérie
poids léger, H. Didane, finaliste lui aussi en championnat
d’Algérie. Cependant, le pugiliste avec lequel il obtiendra le
plus de succès est incontestablement Mohamed Benguesmia.
«Benguesmia s’entraînait durant 2 à
3 ans à titre d’amateur avec une soixantaine de boxeurs du club.
Il est parti ensuite au Mouloudia où on lui avait offert plus de
moyens. En 1997, il devient pro aux Etats-Unis. Il était sous
contrat avec Don King, l’un des plus puissants promoteurs de la
boxe au monde. Il avait comme manager le Français Jean
Christophe Corrège. Il a fait 15 combats professionnels dont il
a gagné 12, un nul et deux défaites. Mais l’éloignement du pays
et la pression que le business américain exerçait sur lui l’ont
poussé à rompre son contrat avec Don King Corporation en 1999. A
l’époque, la Fédération algérienne de boxe m’a demandé de
l’entraîner pour lui assurer une préparation physique, technique
et matérielle. En fait, elle voulait que ce talentueux boxeur
boxe en Algérie pour le championnat d’Afrique qui s’est tenu au
cours de la même année dans notre pays. Or les Américains ne
voulaient pas le lâcher. Ils voulaient qu’il continue à boxer
pour leur compte et non pas pour son pays. Dès lors, c’est le
bras de fer avec l’organisation américaine. Nous avons même reçu
des lettres de menace. En dépit de cette conjoncture, Benguesmia
a boxé dans son pays et il a gagné ses 2 combats. Je ne pouvais
malgré cela être son manager en Algérie puisqu’il était toujours
lié à son manager français. En mars 2000, il s’est déplacé en
Italie pour tenter de gagner l’Intercontinentale W.B.C.
Malheureusement pour lui, il avait
perdu aux points car il manquait cruellement de préparation.
Déçu, il a rompu son contrat avec Jean Christophe, alors qu’il
lui restait encore 18 mois. Depuis cette date, je suis devenu
officiellement son manager. Je l’ai pris en charge et j’ai
relevé le défi de faire de lui un champion du monde».
Les victoires
s’enchaînent
Pour M. Guenif, ce défi est à la
portée de Benguesmia. Il suffit juste d’être professionnel et
sérieux. Le professionnalisme, voici la devise de ce manager qui
a bravé tous les obstacles pour atteindre le sommet de la
pyramide. Pour affûter ses armes, Guenif emmène son protégé dans
des stages de préparation en France, à Rouen, plus précisément
chez un certain M. Chedah qui est un entraîneur algérien
installé en France, et en Allemagne.
«Le premier grand rendez-vous était
la finale de l’Intercontinentale W.B.O au Danemark en octobre
2001. Benguesmia devait battre Christiansen, un géant danois
détenteur du titre et invaincu jusqu’alors. Sachez que pour
disputer ce titre, nous n’avions ni subvention ni un quelconque
financement. Nous sommes partis de Rouen avec mon ami Chedah
dans son fourgon pour rejoindre le Danemark après 18 heures de
route. En arrivant sur place, personne ne nous donnait pour
gagnants. Seul un fou pouvait miser sur nous. Mais moi j’étais
confiant et sûr de moi. J’avais bien étudié l’adversaire et j’ai
déclaré qu’on allait gagner avant le 3ème round. Même Benguesmia
n’y croyait pas. J’ai élaboré une stratégie intelligente pour
orienter Mohamed de boxer d’une manière précise. Avant le
combat, nous avons tout fait pour que l’adversaire croie que
nous sommes intimidés par lui. Résultat : il a sous-estimé
Benguesmia et il s’est complètement déconcentré dans sa
préparation. A quelques minutes avant le combat, il mangeait des
bananes en s’entourant de jolies filles. Et quand le combat a
commencé, Benguesmia a triomphé sur lui au 2ème round. Nous
avons contre toutes attentes remporté haut la main cette
Intercontinentale».
Et ce ne fut que le début d’un long
parcours semé de victoires et d’exploits. Pour 24 combats, il y
a eu 24 victoires. Pas la moindre défaite. M. Guenif a fait de
Benguesmia une véritable machine à gagner. En 2002, ils ont
défendu leur titre à Boufarik-même à la salle Moussa Chiref
contre un adversaire roumain. «C’est mon meilleur souvenir. Tout
Boufarik était derrière nous. En lui offrant la victoire, on l’a
aidé à retrouver sa fierté. C’était un moment inoubliable».
S’ensuit alors une tournée à
travers le pays en 2003. Oran, Tlemcen, Biskra où 35. 000
spectateurs sont venus assister au combat. «Cela prouve tout le
bonheur qu’on apportait aux gens». Grâce à ces performances,
Benguesmia s’est classé 5ème boxeur au niveau mondial. L’ultime
combat en mai 2006 à Guelma pour gagner l’Intercontinentale
W.B.F a marqué les esprits. Benguesmia, n’a fait de son
adversaire, le Français Bafonta, qu’une bouchée. Ce n’était plus
qu’une simple ceinture à brandir en l’air, mais tout simplement
le ticket d’entrée à la gloire.
La séparation
consommée
Malheureusement, ce combat fut
aussi le dernier en date qui a associé M. Guenif à Benguesmia.
La rupture était dure pour notre manager qui demeure toujours
blessé par ce troublant épisode. «Vous savez, les boxeurs sont
ingrats», nous dira-t-il. «J’avais tout sacrifié pour Benguesmia.
Mais lui à cause de l’argent, il m’a laissé tomber malgré tout
ce que j’ai fait pour lui. Le Docteur Soltani, l’ex-président de
la Fédération algérienne de boxe est l’une des causes du
problème qui a eu lieu entre nous. C’est une histoire de fric,
pour couvrir les frais des combats il fallait trouver des
sponsors. Mais ces sponsors n’ont pas respecté leurs engagements
et j’ai dû vendre mes biens pour rembourser les crédits que j’ai
contractés pour organiser tous les combats et les déplacements
de Benguesmia. L’affaire est actuellement en justice et M.
Guidoum du MJS m’a assuré de son soutien pour récupérer mon
argent. Maintenant, je suis dans une situation précaire et pour
tout ce que j’ai donné à Benguesmia, je n’ai absolument reçu
aucune reconnaissance. Je ne lui pardonnerais jamais».
La confession est terrible et
désolante, mais M. Guenif ne souhaite pas terminer sur cette
note. «Sachez que je ne vais pas abandonner pour autant la boxe.
J’ai encore en charge des jeunes que j’espère former pour faire
d’eux à leur tour les champions de demain. Kotbi Rachid, Ali
Benguesmia (le frère de Mohamed), Faidi Omar, Dahmouchi Merzak
et d’autres encore. Tous ces jeunes débordent de talent et
personnellement je crois en eux. C’est pour cette raison que je
rêve d’ouvrir une école de boxe pour lancer ces futurs
champions. Je suis prêt à relever encore ce défi».
On le voit bien, le faiseur de
champions ne se lasse jamais de l’aventure. Si la boxe ne
nourrit pas ses hommes, elle les fait rêver au moins. Sollicité
en Tunisie, en Jordanie et même à Dubaï, Mohamed Guenif ne
demande qu’une seule chose : qu’on laisse enfin faire les
professionnels dans notre pays…
S. A.