Dans un contexte mondial marqué par des incertitudes géopolitiques et des transitions énergétiques accélérées, le rapport d’automne 2025 de la Banque mondiale sur l’économie algérienne apporte une bouffée d’optimisme.
Ce document exhaustif de 52 pages, auquel le Midi Libre a eu accès en exclusivité, met en lumière une trajectoire de résilience remarquable pour le pays maghrébin. Au premier semestre de l’année, la croissance réelle du PIB hors secteur des hydrocarbures s’est établie à un robuste 4,1%, propulsée par des investissements vigoureux, une agriculture qui défie les caprices climatiques et un secteur des services en pleine effervescence. Simultanément, l’inflation a poursuivi sa trajectoire descendante, atteignant un modeste 1,7% sur une base annuelle – un soulagement après des années de pressions inflationnistes qui avaient érodé le pouvoir d’achat des ménages. Ces indicateurs positifs, bien que tempérés par des vulnérabilités persistantes liées aux prix mondiaux des commodities, signalent que les réformes structurelles lancées par Alger commencent à porter leurs fruits concrets.
Une diversification en marche : les moteurs d’une croissance non pétrolière
Pour comprendre l’ampleur de cette performance, il faut replonger dans le contexte historique de l’Algérie, un pays dont l’économie a longtemps été captive de la « malédiction des ressources naturelles ». Depuis l’indépendance en 1962, les hydrocarbures – pétrole et gaz – ont représenté jusqu’à 95% des exportations et 60% des recettes budgétaires, rendant l’économie vulnérable aux soubresauts des marchés internationaux. Les chocs de 2014 (chute des prix du baril) et de la pandémie de Covid-19 en 2020 ont accéléré la prise de conscience : il était impératif de diversifier. C’est dans ce sillage que s’inscrit le dynamisme observé en 2025.
Sur les six premiers mois de l’année, le PIB réel global a progressé de 1,1% en rythme annuel, après des avancées de 4,1% en 2023 et 3,7% en 2024. Ce chiffre, modeste en apparence, masque une réalité plus nuancée : tandis que la production d’hydrocarbures s’est contractée de 2,0% – impactée par des quotas Opep+ et une maintenance accrue des installations de Sonatrach –, les secteurs non énergétiques ont compensé avec brio. Les investissements, publics et privés, ont connu une accélération spectaculaire, passant d’une croissance de 2,5 % en 2024 à plus de 5% au premier semestre 2025. Ces apports, souvent canalisés vers des projets d’infrastructures comme les autoroutes transsahariennes ou les parcs industriels à Tlemcen et Béchar, ont non seulement créé des emplois temporaires mais aussi stimulé les chaînes d’approvisionnement locales. Résultat : une hausse des importations de biens d’équipement, certes, mais aussi une multiplication des partenariats avec des fournisseurs régionaux, réduisant la dépendance aux importations européennes.
La consommation des ménages, quant à elle, reste le roc de cette expansion. Malgré un ralentissement des dépenses publiques – passé de 45% du PIB en 2023 à 42% en 2025, dans un effort de consolidation budgétaire –, les Algériens ont maintenu un niveau de consommation élevé, porté par des transferts de la diaspora (estimés à 2,5 milliards de dollars annuels) et une politique sociale renforcée, comme l’augmentation des allocations familiales de 20% en 2024. Ce dynamisme a particulièrement dopé le secteur des services : le commerce de détail a bondi de 6 %, les télécommunications de 8%, et le tourisme interne – boosté par des campagnes de promotion des sites sahariens – a enregistré une hausse de 15% des nuitées hôtelières.
L’agriculture, souvent sous-estimée, mérite une mention spéciale. Face à des saisons sèches récurrentes, exacerbées par le changement climatique, le secteur a affiché une résilience exemplaire grâce à des investissements dans l’irrigation goutte-à-goutte (couvrant désormais 30% des terres arables) et des variétés de semences résistantes au stress hydrique. La production de dattes, de céréales et d’olives a augmenté de 4%, contribuant à une autosuffisance alimentaire partielle et à une réduction des importations de blé de 10%. Les données satellitaires de la Banque mondiale, basées sur l’analyse de l’éclairage nocturne – un proxy fiable pour mesurer l’activité économique réelle –, confirment cette expansion inclusive : non seulement elle touche les wilayas côtières comme Alger et Oran, mais elle s’étend aux régions intérieures, y compris le Sud, où des fermes solaires couplées à l’agriculture émergent comme un modèle hybride prometteur.
L’inflation domptée : entre stabilisation des prix et défis monétaires
L’un des chapitres les plus encourageants du rapport concerne l’inflation, qui a marqué un reflux continu sur les neuf premiers mois de 2025. Après un pic à 9,3% en 2022-2023, alimenté par la guerre en Ukraine et les perturbations des chaînes logistiques mondiales, le taux a chuté à 4,0% en 2024. Aujourd’hui, il s’établit à 1,7%, grâce à une modération des prix alimentaires – les produits transformés comme les pâtes et les huiles ont baissé de 5% – et à une politique de subventions ciblées qui protège les ménages vulnérables sans creuser excessivement le déficit budgétaire.
Pourtant, des ombres persistent. L’écart entre le taux de change officiel (132 dinars pour un dollar) et le marché noir (passé de 67,7% en 2024 % en 2025) reflète une pression sur les réserves de change, érodées par des importations en hausse. La masse monétaire, bien que mieux contrôlée, croît encore à 8% annuels, risquant de relancer l’inflation si les chocs exogènes reprennent. La Banque d’Algérie, sous la houlette de son gouverneur, a su manœuvrer avec prudence : en août 2025, elle a réduit son taux directeur de 3% à 2,75% et le ratio de réserves obligatoires de 3% à 2%, libérant ainsi des liquidités pour le crédit privé sans aviver les spéculations. Ce crédit, en hausse de 12% pour les PME, finance des projets verts comme les unités de recyclage à Annaba ou les startups fintech à Alger. « Ces ajustements marquent une maturité monétaire, alignée sur les standards du FMI », commente le rapport, qui recommande toutefois une accélération de la numérisation bancaire pour curber les fuites de capitaux.
Horizons 2025 et au-delà : une croissance à 3,8%, mais des défis structurels
La Banque mondiale anticipe une accélération modérée à 3,8% pour l’ensemble de 2025, dans un scénario de référence prudent. Ce pronostic repose sur la poursuite de la vigueur non pétrolière : une consommation privée qui continuera de porter les services, une agriculture dopée par les pluies attendues au printemps 2026, et des investissements qui, malgré une hausse des importations, favoriseront la productivité. Côté hydrocarbures, un rebond de 1,5% est escompté, calé sur les quotas Opep+ et des prix du baril oscillant autour de 75-80 dollars. À court terme, la volatilité des cours – impactée par les tensions au Moyen-Orient et la demande chinoise – reste un risque ; à moyen terme, les efforts mondiaux de décarbonation (taxes carbone européennes, subventions aux VE aux USA) pèsent sur les perspectives.
Le rapport est formel : pour ancrer cette croissance, l’Algérie doit bâtir un cadre macroéconomique blindé. Renforcer les recettes fiscales internes (actuellement à 15% du PIB, contre 25 % en moyenne OCDE) via une TVA élargie et une lutte accrue contre l’évasion ; optimiser la gestion des rentes pétrolières par un fonds souverain réformé (inspiré du modèle norvégien) ; et imposer des règles budgétaires contraignantes, comme un déficit plafonné à 3% du PIB. Sans cela, les chocs – comme la baisse prévue de la demande pétrolière post-2030 – pourraient replonger le pays dans la récession. À l’horizon, l’offre mondiale de pétrole augmentera (shale US, offshore brésilien), pressant les prix à la baisse, tandis que la demande culminera en 2030 avant un déclin inexorable. L’Algérie, avec ses réserves prouvées (12 milliards de barils), a une fenêtre de 5-7 ans pour pivoter vers l’hydrogène vert et les minerais critiques (lithium saharien).
L’eldorado des IDE : un milliard en six mois, Pékin en locomotive
Le joyau de ce rapport est sans conteste l’explosion des investissements directs étrangers (IDE). Au premier semestre 2025, les annonces ont pulvérisé la barre du milliard de dollars – un record absolu depuis la pandémie, surpassant les 1,4 milliard de flux réels en 2024. Ces chiffres, dopés par des prix pétroliers soutenus (Brent à 78 dollars en moyenne) et un climat réglementaire assaini (guichet unique pour les implants via l’Andi), signalent un retour en force des capitaux étrangers. Les réformes de 2023-2024 – exonérations fiscales de 5 ans pour les secteurs prioritaires, protection des rapatriements de profits – ont transformé l’Algérie d’un marché réticent en hub attractif.
La Chine domine outrageusement : un tiers des annonces entre 2020 et 2025, contre moins de 2 % une décennie plus tôt. Pékin, via des géants comme CNPC et Huawei, cible les hydrocarbures (exploitation gazière à Hassi R’Mel), les infrastructures (TGV Alger-Oran) et les renouvelables (parc solaire de 1 GW à Ghardaïa). Cette « diplomatie du yuan » s’aligne sur la Nouvelle Route de la Soie, offrant à Alger des financements sans conditionnalités politiques, contrairement aux prêts occidentaux. La Turquie et le Qatar suivent, stables à 10-12% des parts, avec des hôtels 5 étoiles à Tipaza et des usines laitières à Sétif. Les Européens (France, Italie), jadis leaders, reculent à 20 %, échaudés par la bureaucratie résiduelle et la concurrence asiatique.
Sur dix ans, les secteurs phares des IDE sont les chimiques (pétrochimie à Skikda, engrais à Arzew), les transports (port en eau profonde à Djen-Djen) et les mines (zinc à Oued Amizour). Mais l’automobile émerge comme le champion de l’emploi : avec des joint-ventures Renault-Toyota à Relizane, le secteur prévoit 50.000 postes d’ici 2027, formant une main-d’œuvre qualifiée via des centres de formation à Boumerdès. « Ces IDE ne sont pas qu’un influx financier ; ils importent technologies, management et marchés d’export », souligne la Banque mondiale, qui exhorte Alger à prioriser les transferts de compétences pour éviter les enclaves isolées.
Implications sociétales et recommandations : une économie pour tous ?
Au-delà des chiffres macro, ce rapport interroge les retombées sociales. La croissance hors hydrocarbures a réduit le chômage de 12,5% en 2024 à 11,8% en 2025, mais les jeunes (15-24 ans) restent à 28%, un frein à la cohésion sociale. Les femmes, sous-représentées dans les secteurs émergents, pourraient bénéficier d’un programme d’IDE genré, comme au Maroc avec ses zones franches textiles. L’inflation basse protège les plus modestes, mais l’écart urbain-rural persiste : les wilayas du Sud, malgré les investissements gaziers, accusent un PIB par habitant 30% inférieur à la moyenne nationale.
Les recommandations de la Banque sont précises : digitaliser la fiscalité pour capter 2 points de recettes en plus ; verdir l’économie via des partenariats sino-algériens sur l’hydrogène (potentiel de 10 GW) ; et intégrer les PME locales aux chaînes globales, via des quotas de sous-traitance. Inspirée par le Vietnam – passé d’une économie rentière à un tigre asiatique en 20 ans –, l’Algérie pourrait viser 5% de croissance annuelle d’ici 2030 si elle persévère.
En conclusion, ce rapport d’automne 2025 n’est pas qu’un bilan : c’est un appel à l’action. Avec un milliard d’IDE en poche, une inflation domptée et une diversification en accélération, l’Algérie se profile comme un émergent résilient au Maghreb. Mais le chemin reste semé d’embûches – volatilité pétrolière, transition climatique, inégalités régionales. Le gouvernement, dans son budget 2026 à venir, a les leviers : un plan Marshall pour le Sahara vert, une réforme bancaire accélérée. Si Alger joue ses cartes avec audace, 2025 pourrait entrer dans les annales comme l’année du basculement. Les investisseurs du monde entier – de Pékin à Paris – surveillent, impatients. L’Algérie, lion endormi du désert, semble prête à rugir.