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Belkacem Lounes, Président du CMA, au Midi Libre»
«Les Amazighs sont dans un tournant historique particulièrement favorable»
14 Septembre 2011

La tenue du VIe Congrès mondial amazigh (CMA) sur l’Ile de Djerba, du 30 septembre au 2 octobre 2011, relance les revendications culturelles des peuples autochtones en général et amazighs en particulier. Saluant à cet effet l’initiative du peuple frère tunisien d’organiser les travaux du CMA sur son territoire et écoutons donc à ce propos Monsieur Belkacem Lounès, hôte de nos voisins.



Midi Libre : Le 6e Congrès mondial amazigh (CMA) se tiendra cette année en Tunisie, précisément sur l’Ile de Djerba, pourquoi le choix de ce pays alors que la Tunisie abrite une infime partie de berbérophones dont on dit qu’ils sont en voie de disparition ?

B. Lounès : Oui, comme vous dites, les Amazighs en Tunisie étaient sous les régimes précédents, réellement en voie de disparition. Je me souviens de l’ambassadeur de la Tunisie à l’ONU qui disait en 2009, «il n’y a pas d’Amazighs chez nous» ! Exactement ce que disais Kadhafi des Amazighs de Libye. Mais heureusement, on ne tue pas un peuple seulement en le déclarant comme mort. En fait, il y a des Amazighs dans toutes les régions de la Tunisie, au nord comme au sud, au centre, à l’est et à l’ouest. Et la création de la première association des Amazighs tunisienne l’été dernier a clairement montré cette réalité. Et la particularité de la Tunisie, c’est que de très nombreux Amazighs qui ont perdu l’usage de la langue amazighe se déclarent publiquement Amazighs. Il est également remarquable de constater en lisant les journaux qu’un grand nombre d’intellectuels et d’artistes reconnaissent sans ambiguïté que la Tunisie n’est pas un pays Arabe mais qu’il puise ses fondements identitaires dans l’amazighité et qu’il a bénéficié des apports civilisationnels phéniciens, romains, arabes, etc. Pour revenir à votre question, l’idéal pour nous est que chaque pays de Tamazgha (nord de l’Afrique) accueille le congrès du CMA à tour de rôle. Notre 4e congrès a eu lieu à Nador au Maroc en 2005. Aujourd’hui, le régime dictatorial de Ben-Ali est tombé, une ère nouvelle s’ouvre en Tunisie, ce qui a rendu possible l’organisation de nos 6es assises internationales dans ce pays. Et évidemment nous sommes très heureux d’aller à Djerba pour la première fois ! C’est un évènement historique pour les Amazighs tunisiens comme pour les Amazighs de tous les pays.

Est-ce que vous avez eu des difficultés pour obtenir l’accord des autorités tunisiennes ?
Nous préparons ce congrès en partenariat avec l’association tunisienne de la culture amazighe et avec nos frères de Djerba. Ce sont eux qui s’occupent des formalités administratives et jusque-là, il n’y a aucun problème. Nos congrès se déroulent en toute transparence et les nouvelles autorités tunisiennes ont été invitées à venir y assister. Nous avons d’ailleurs adressé une invitation officielle au Premier ministre tunisien.

De quels thèmes allez-vous débattre ?
Chaque congrès est un point d’étape qui nous permet de faire le bilan concernant les avancées et les difficultés et compte tenu de cela, nous traçons notre feuille de route pour l’avenir. Les congrès du CMA sont aussi pour tous les Amazighs l’unique lieu où ils peuvent se rencontrer tous, de Siwa aux Canaries et de la Méditerranée jusqu’au fleuve Niger au sud. C’est donc un grand moment de retrouvailles entre les membres de la grande famille amazighe dispersée sur un immense territoire. Nous aurons également le plaisir et l’honneur d’accueillir un représentant du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, des Députés du Parlement européen, des représentants des peuples amis, des ONG…

Est-ce qu’il y a des avancées depuis la création du CMA ?
Bien sûr, tamazight regagne du terrain grâce à la fois au travail des militants sur le terrain mais aussi aux pressions internationales déclenchées le plus souvent par le travail de plaidoyer et de lobbying exercés par le CMA sur les places internationales (auprès de l’ONU, de l’UE, des ONG, des peuples amis). Et même si nous sommes encore loin d’avoir atteint nos objectifs, il y a quand même quelques avancées notables comme par exemple l’accession de Tamazight au rang de langue officielle au Maroc.

Le Maroc vient d’officialiser le tamazight, que pensez-vous de cette initiative ?
Oui, l’article 5 de la nouvelle Constitution prévoit désormais que «tamazight constitue une langue officielle de l’Etat». Il s’agit là assurément d’une victoire historique du mouvement amazigh, après un combat pacifique exemplaire de plusieurs décennies aussi bien au niveau national qu’international. Cela étant dit, nous attendons avec impatience la traduction de cet article par des actes concrets. Pour nous, Tamazight devra bénéficier très vite d’un vaste plan de rattrapage afin qu’elle puisse jouer pleinement son rôle de langue officielle dans les plus brefs délais. Il incombe alors au mouvement Amazigh au Maroc de rester particulièrement vigilant et combatif afin que le caractère officiel de Tamazight soit pleinement respecté et appliqué sans délai.

On dit que les crises qui secouent le Moyen-Orient sont désignées sous le nom de Révolutions arabes, mais nous on constate, c’est l’émergence de mouvements berbéristes dans la foulée de ces révolutions. A votre avis, s’agit-il de révolution arabe ou berbère ?
D’abord ces révolutions ont commencé en Afrique du Nord et plus précisément en Tunisie et aujourd’hui la Libye s’est également débarrassée de son tyran Kadhafi. « Révolutions arabes » est une expression créée par les grands médias occidentaux, en particulier français, qui ne comprennent rien et/ou ne veulent pas comprendre la réalité des sociétés au sud de la Méditerranée. N’oublions pas que la France demeure un Etat jacobin qui ignore et tente de cacher sa diversité, en ne reconnaissant pas les langues et les peuples Breton, Corse, Basque, Occitan, etc. J’ignore tout des révolutions au Moyen-orient mais pour ce qui est de la Tunisie et de la Libye, qu’on se rappelle que le jeune homme qui s’est immolé par le feu, faisant éclater l’insurrection populaire dans tout le pays, c’était à Thala (la source en tamazight) dans l’ouest de la Tunisie et que en Libye, ce sont les Amazighs de l’Adrar Nefussa qui ont libéré Tripoli ! Ces révolutions ne sont ni Arabes ni Amazighes, elles ont été menées par des hommes et des femmes contre des dictatures et pour instaurer la liberté et l’état de droit. J’espère que ces révolutions n’ont pas de caractère ethnique ou racial, en particulier chez nous, dans les pays de Tamazgha. Les Amazighs doivent veiller à cela et éviter justement le détournement de la victoire vers d’autres formes de dictature qui les maintiendraient dans la marginalisation et la négation de leurs droits fondamentaux. Il n’y a pas d’autre voie que l’instauration de véritables démocraties dans ces pays, dans l’intérêt des peuples dans leur diversité.

Les langues en général sont confrontées à ce qu’on nomme «la loi du plus fort» ou au rapport de force, quel est l’état des lieux de l’émergence de tamazight en Algérie depuis le printemps berbère ?
Bien sûr que c’est la loi du plus fort qui a prévalu jusque-là. La meilleure preuve du recul de Tamazight en Kabylie et en Algérie en général, c’est le nombre d’élèves qui suivent les cours de Tamazight qui ne dépasse pas 10% du nombre total d’élèves, alors que Tamazight a été introduite dans l’enseignement public il y a 16 ans !

Avez-vous un message à transmettre au peuple amazigh ?
Il me semble que les Amazighs sont dans un tournant historique particulièrement favorable. Il leur revient d’en prendre conscience et d’avoir confiance en l’avenir. Ils ont trouvé les moyens et méthodes de traverser les siècles sans disparaître. Mais avec le phénomène de globalisation actuel, l’amazighité est particulièrement menacée.
Il faut donc trouver des moyens notamment institutionnels et technologiques nouveaux pour sauver durablement l’identité amazighe. Par ailleurs, quels que soit le pays où ils vivent, les Amazighs sont liés par un passé et un destin communs.
C’est notamment de cela qu’on discutera lors de notre congrès à Djerba. Et merci pour votre hospitalité dans votre journal.

Par : Entretien réalisé par Ourida Ait Ali

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