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«Thérapie ou béton» de Nadia Chabani
L’Aurès des bâtisseurs
10 Juillet 2008

Le récit de Nadia Chabani se lit d’un trait. Puis, il ne vous quitte plus. Il résonne doucement comme un des chants de l’Aurès qu’il cite à chaque tournant. Hymne au travail et au courage, il rend hommage aux filles et fils d’une terre âpre-douce à la langue mélodieuse.

« (….) J’ai juste voulu apporter ma modeste brique à ce mur que certains voudraient silencieux (…) Ma brique s’imbrique dans ce puzzle de briques loquaces et éloquentes qui s’associent au béton pour ériger, construire, un pont, un temple où pousse, bourgeonne et fleurit la liberté.
Tourne bétonnière, tourne ! Ronronne et rappelle-moi au souvenir de mon père, mon bâtisseur, de mon fils, mon bonheur et enfin de mon Aurès au parfum lilas de mon enfance.» Ces phrases extraites de la conclusion du récit en indiquent le ton et le propos.
«Thérapie ou béton» est le premier travail d’écriture d’une femme qui compte ses ouvrages d’architecture par centaines. Derrière l’énigmatique intitulé, le lecteur découvre les combats que mène Malaghi, une jeune architecte native des Aurès.

Perdue en territoire autiste
Mère de trois enfants, c’est lorsqu’elle découvre que son petit dernier est différent qu’elle décide d’aller au bout du monde pour identifier l’étrange malaise que les médecins de son pays sont incapables de diagnostiquer. Conçu, porté et mis au monde durant les années de sang et de terreur, c’est vers deux ans que le petit Aymen émet des signaux qui alarment la vigilance maternelle. «Je me rendis vite compte que quelque chose n’allait pas. Comme si en ce monde où tout allait mal, quelque chose devait aller bien. Mon fils semblait refuser notre monde de folie et lui préférait celui de l’innocence qu’il avait connu quand il nageait seul en liberté dans son liquide amniotique. Mon bonhomme me semblait souvent absent et il avait une étrange façon de fixer les objets. Il ne répondait pas aux consignes comme le faisaient ses deux grandes sœurs à son âge. Il se mit même à oublier volontairement le peu de mots ou phrases déjà appris. Il commençait à m’échapper totalement.» Malaghi, qui cherche à pénétrer le sens du mal mystérieux de son fils, remonte aux conditions tragiques qui ont bercé et accueilli cette nouvelle vie. «La peur était dans tous les ventres et dans le mien aussi. Dans le mien surtout, car avec elle il y avait la vie. Un être y vivait dans l’innocence du placenta. Oui j’avais peur. Je le dis sans honte. La peur était en moi comme elle était dans tous les êtres. Elle était dans le moindre pore ou repli du corps. Elle se cachait même dans nos vêtements, nos habits qui risquaient à tout instant de devenir notre linceul. » Dès l’accouchement par césarienne, Malaghi doit, pour des raisons de sécurité, quitter la clinique dans une ambulance banalisée !

«Ma Hollande à moi»
En plein désarroi, c’est la découverte d’un texte intitulé «Bienvenue en Hollande» que Emily Perl Kingsley a écrit en 1987 qui lui indique la direction à suivre.
Avoir un enfant autiste c’est comme se retrouver en Hollande pour un voyageur qui a pris l’avion pour un voyage longuement planifié vers l’Italie ! « Quelque temps après être arrivé et avoir repris votre souffle, vous regardez autour et vous commencez à remarquer que la Hollande possède des moulins à vent, que la Hollande a des tulipes … que la Hollande a même des Rembrandt ! » La lecture de ce merveilleux texte est le
point de départ du récit de Nadia Chabani conçu comme la somme de toute une vie. Destin que la mémoire restitue à travers les longues nuits d’exil que l’on devine blanches et froides. Faits vécus, témoignages, réflexions, chants et poésies auressiennes explorent, à travers un va-et-vient spatio-temporel incessant, les cheminements intérieurs d’une femme généreuse qui découvre ses racines dans la douleur de l’éloignement. Installée au Canada avec sa nichée, elle fait chaque jour une avancée dans l’intériorité singulière de l’autisme, dans la sienne propre et dans celle de celui qu’elle nomme «le grand patron» et qui est à la fois son professeur sur le terrain professionnel, son maître et son guide spirituel.

L’exquis parfum du béton
Pour celle qui adore le parfum du béton, son métier est vital. Au point qu’elle conserve son bureau en Algérie et continue à s’occuper des chantiers du Grand patron à partir du Canada, quitte à passer d’une température de moins 20 degrés à Montréal à celle de 30 degrés à Ghardaïa !
Des pages passionnées sont consacrées à la ville natale de sa famille,T’Kukt. Ce typique village auressien, le grand bâtisseur en transporte l’esprit dans ces chantiers jusqu’au cœur de la capitale.
Celui qui s’est fait tout seul à travers les luttes pour la libération du pays et l’acquisition de la science et de la connaissance lui transmet un message clair : « Pour lui, être le maître d’œuvre c’est aussi être le maître d’ouvrage. Une formule que j’allais faire mienne et qui allait me servir pour ma formation définitive sous sa houlette.» La narratrice, initiée par ce maître «concepteur et visionnaire», a hérité de sa passion.
«Il m’arrive de m’adresser à ces murs de béton. Je leur dis mes angoisses et leur exprime mes peurs. Je les écoute et sens leur caresse qui me soulage du poids du silence. Le silence de la femme que je suis. De la femme soumise que certains auraient aimé que je fusse. Les dimanche, j’entends la ville qui me parle. Elle me dit son histoire. Elle me révèle son âme. Il suffit de bien la regarder. De bien l’écouter. Elle se cache dans ses textures, ses formes, ses couleurs, jusque dans ses odeurs particulières. Interstices de l’improbable ou de l’impossible !»
Dans ce livre, le lecteur rencontrera le professionnalisme rigoureux, l’amour filial et maternel, la passion des origines, l’immense respect des siens et de toute la grande famille humaine. Autant de visages d’un patriotisme immaculé.
L’auteure de ce livre poignant qui mériterait d’être édité en Algérie est architecte de profession. Ce premier ouvrage, largement autobiographique, est préfacé par l’écrivain Messaoud Nedjahi. L’auteure l’a dédié à ses parents «pour les remercier de m’avoir fait aimer l’Aurès»  et à ses enfants «pour qu’ils trouvent en cette identité toute leur liberté et leur identité amazighe.» Il est un hommage à son père, M. Chabani El-Ouardi décédé le 8 mars 2007. Self made man de génie et grand bâtisseur,  M. Chabani El-Ouardi était qualifié de patron des patrons. Amoureux de sa région et bienfaiteur généreux, il a laissé à tous un souvenir impérissable.
K.T.
«Thérapie ou béton» de Nadia Chabani
Edition Publibook, Paris 2007.
137 pages, prix public : 16 euros.

Par : Karimène Toubbiya

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