L’Office national des statistiques (ONS) a dévoilé hier dimanche ses indicateurs trimestriels sur l’activité industrielle du secteur public, et les chiffres parlent d’eux-mêmes : une hausse de 6,3% de la production au deuxième trimestre 2025, contre seulement 3,8% à la même période en 2024.
Ce bond significatif, le plus élevé depuis le début de l’année, marque un tournant décisif dans la stratégie de diversification économique prônée par les autorités depuis plusieurs années. Loin d’être un simple rebond conjoncturel, cette performance traduit une dynamique structurelle profonde, portée par presque tous les secteurs industriels publics, et reflète les effets concrets des investissements massifs, de la modernisation des outils de production et de l’ouverture progressive aux marchés extérieurs.
Dans son communiqué détaillé, l’ONS souligne que tous les grands secteurs ont contribué à cette embellie, à l’exception de quelques filières en phase d’ajustement. Cette croissance généralisée est d’autant plus remarquable qu’elle intervient dans un contexte international encore marqué par les incertitudes géopolitiques, les fluctuations des prix des matières premières et les tensions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. L’Algérie, traditionnellement dépendante de ses exportations d’hydrocarbures, démontre ainsi qu’elle est capable de générer de la valeur ajoutée interne, de créer des emplois durables et de renforcer sa souveraineté industrielle.
Le secteur de l’énergie, pilier historique de l’économie nationale, reste en tête de peloton avec une progression de 9,2%, un chiffre impressionnant qui se rapproche du record de 10,2% enregistré au deuxième trimestre 2024. Ce résultat n’est pas surprenant quand on sait que Sonatrach, le géant public des hydrocarbures, a accéléré ses programmes de maintenance, de modernisation et d’exploration ces derniers mois. Mais au-delà de la stabilité globale du secteur, c’est surtout le redressement des hydrocarbures qui attire l’attention. Après quatre trimestres consécutifs de stagnation ou de légers reculs, ce sous-secteur affiche une croissance positive de 1,5%, portée essentiellement par deux branches clés : l’extraction de pétrole brut et de gaz naturel (+3,0%) et le raffinage (+6,2%). Ces chiffres traduisent l’efficacité des investissements dans les champs matures, l’optimisation des unités de traitement et la mise en service progressive de nouvelles capacités de raffinage. Ils confirment également que l’Algérie parvient à maintenir sa production pétrolière tout en respectant ses engagements au sein de l’Opep+, une prouesse dans un marché mondial volatil.
Le secteur des mines et carrières, souvent considéré comme le parent pauvre de l’industrie algérienne, sort, enfin, de l’ornière. Après un repli de 3,7% au premier trimestre, il affiche une hausse de 1,2% au deuxième trimestre. Ce retournement de tendance n’est pas anodin. Il s’explique par la relance de plusieurs projets miniers stratégiques, notamment dans le fer de Gara Djebilet, le phosphate de l’Est et les matériaux de construction. Les exportations de granulats vers l’Afrique subsaharienne et le Maghreb ont également dopé l’activité. Ce secteur, qui représente un potentiel énorme pour la création de valeur locale, commence à se structurer grâce à des partenariats public-privé et à des investissements étrangers ciblés. Les autorités misent sur lui pour réduire la facture d’importation de minerais et renforcer la chaîne de valeur industrielle en aval.
Mais c’est sans conteste le secteur des matériaux de construction qui vole la vedette avec une progression fulgurante de 16,7%. Ce chiffre, le plus élevé de tous les secteurs, prolonge et amplifie une tendance haussière entamée dès le premier trimestre 2024. Ciment, briques, acier, plâtre, carrelage : toutes les filières sont concernées. Ce boom s’explique par plusieurs facteurs convergents. D’abord, le programme national de logement (AADL, LPA, rural) qui absorbe des volumes colossaux de matériaux. Ensuite, les grands chantiers d’infrastructures : autoroutes Est-Ouest, pénétrantes portuaires, barrages, hôpitaux, écoles. Enfin, l’exportation croissante vers les pays voisins, notamment la Libye, la Tunisie et la Mauritanie, où la reconstruction post-conflit ou le développement urbain créent une demande soutenue. Les cimenteries publiques, comme celles de Zahana, Aïn El-Kebira ou M’sila, tournent à plein régime, avec des taux d’utilisation des capacités dépassant les 90%. Ce secteur, jadis en surcapacité, est aujourd’hui en situation de pénurie relative, ce qui pousse les pouvoirs publics à autoriser des importations temporaires tout en accélérant les projets d’extension.
Les industries chimiques, souvent cycliques, ne sont pas en reste. Après un plongeon sévère de 11,1% au premier trimestre, elles rebondissent à +2,5%. Ce redressement est porté par la demande en engrais azotés et phosphatés (agriculture), en produits plastiques (emballage, construction) et en détergents (consommation courante). Les unités publiques comme Fertial ou Asmidal ont bénéficié de la hausse des prix mondiaux des intrants, mais aussi d’une meilleure gestion des stocks et d’une optimisation logistique. L’exportation d’ammoniac et d’urée vers l’Europe et l’Afrique a également contribué à ce résultat.
Dans les filières plus légères, les performances sont carrément spectaculaires. Le secteur du cuir et de la chaussure explose avec +40,7%, dépassant largement son score du trimestre précédent (13,7%). De même, l’industrie du bois et du meuble signe une progression historique de +131,6%, contre 91,1% au T1. Ces chiffres, qui peuvent sembler irréalistes à première vue, s’expliquent par plusieurs phénomènes. D’abord, une demande interne en forte hausse : les Algériens, avec un pouvoir d’achat en amélioration, renouvellent leur mobilier et leurs intérieurs. Ensuite, une percée à l’export : meubles en bois massif vers la France et l’Italie, maroquinerie haut de gamme vers le Golfe. Enfin, des investissements publics ciblés dans la formation professionnelle et la modernisation des ateliers. Ces filières, longtemps marginalisées, deviennent des niches d’excellence et des sources d’emplois qualifiés, notamment pour les jeunes.
Tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne, cependant. Trois filières accusent des reculs, mais moins prononcés qu’au trimestre précédent. La sidérurgie, la mécanique, l’électricité et l’électronique affichent -1,8%, un chiffre en amélioration par rapport aux trimestres précédents. Ce léger repli s’explique par des arrêts techniques dans certaines usines et par une concurrence accrue des importations asiatiques. L’agroalimentaire recule de 4,7%, un tassement lié à la saisonnalité (fin de la campagne agricole) et à la pression des importations de produits transformés. Enfin, le textile, secteur sinistré depuis des décennies, plonge de 10,4%, victime du manque de matière première locale, de la vétusté des équipements et de la concurrence turque et chinoise. Ces baisses, bien que préoccupantes, restent contenues et n’entament pas la tendance globale haussière.
Au-delà des chiffres bruts, cette croissance de 6,3% traduit une mutation profonde de l’appareil industriel public. Plusieurs facteurs explicatifs se dégagent. D’abord, les investissements publics massifs dans le cadre du Plan de relance économique (PRE) et du Programme national de développement (PND). Ensuite, la modernisation technologique : robotisation, numérisation, formation continue. Troisièmement, l’ouverture à l’export : les produits algériens, autrefois cantonnés au marché local, conquièrent désormais l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. Enfin, une gouvernance améliorée : moins de bureaucratie, plus de synergies entre entreprises publiques.
Le ministre de l’Industrie et de la Production pharmaceutique, Ali Aoun, n’a pas caché sa satisfaction. Dans une déclaration à la presse, il a affirmé que « cette croissance n’est pas un accident. C’est le fruit d’une stratégie cohérente, d’une vision claire et d’un travail acharné. L’industrie publique redevient un moteur de développement, pas un poids mort ». Il a annoncé que l’objectif pour 2025 est de maintenir une croissance annuelle moyenne de 5 à 6%, avec un accent particulier sur les filières à forte valeur ajoutée comme la mécanique de précision, la pharmacie et les TIC.
L’ONS, de son côté, reste prudent mais optimiste. Ses prévisions pour le second semestre tablent sur une croissance soutenue, portée par la saisonnalité favorable (rentrée scolaire, Aïd al-Adha) et par la mise en service de nouvelles unités de production. L’Office souligne également que les exportations hors hydrocarbures ont progressé de 18% sur le semestre, un record qui conforte la stratégie de diversification.
Cette performance industrielle a des retombées sociales directes. Des milliers d’emplois ont été créés ou préservés, notamment dans les wilayas de l’intérieur. Les salaires dans le secteur public industriel ont augmenté en moyenne de 8% sur l’année, grâce aux conventions collectives renegociées. La formation professionnelle a été renforcée avec plus de 50000 jeunes formés dans les centres spécialisés.
Sur le plan macroéconomique, cette croissance industrielle contribue à réduire le déficit commercial, à stabiliser le dinar et à augmenter les réserves de change. Elle permet également de contenir l’inflation importée, en substituant des produits locaux aux importations coûteuses. Le made in Algeria n’est plus un slogan. C’est une réalité chiffrée, tangible, quotidienne.
Bien sûr, des défis subsistent. Le textile doit être restructuré de fond en comble. La mécanique nécessite des partenariats technologiques étrangers. L’agroalimentaire souffre d’un manque de matières premières locales. Mais la tendance est là, irréversible. L’Algérie industrielle renaît de ses cendres. Et cette fois, ce n’est pas un mirage.