Le Midi Libre - Société - « Papa, laisse-moi embarquer !»
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Les enfants caressent le rêve de vivre sous d’autres cieux
« Papa, laisse-moi embarquer !»
14 Décembre 2008

Ce sont des enfants. Ils ont tout de ces êtres si vulnérables. L’innocence, l’insouciance, la joie de vivre et l’inconscience. Mais leurs réflexions, leurs projets de vie, leur rêve d’avenir, sont tout autre. Ils ne rêvent pas de réussir dans leurs études, ou de devenir médecin, avocat ou journaliste. Ils n’aspirent qu’à une seule chose : aller s’établir outre-mer, fuir le contexte social, s’échapper des conditions de vie difficiles dans lesquelles vit la population algérienne.

A les entendre parler, l’on a l’impression qu’ils ont déjà dû vivre des moments difficiles, mais la réalité est que, victimes de leur entourage, où le lexique de la «harga» prévaut, leurs rêves d’enfant ont cédé place à une chimère longtemps poursuivie par les jeunes Algériens : «El harga». Qui sont-ils et comment en sont-ils arrivés là ?
A la simple question posée autrefois aux enfants : « Que veux-tu devenir une fois adulte ?», l’on recevait une panoplie de réponses, genre, médecin, enseignant, ingénieur, pilote, chercheur ou autre. Aujourd’hui, ces réponses sont devenues rarissimes, et ont laissé place à une autre réplique : «Je désire partir vers un pays étranger où je pourrais avoir une vie meilleure».
El harga, l’émigration clandestine, la recherche de l’eldorado tant rêvé, la fuite en avant du contexte algérien, gouverné par les défaillances que ne cessent de déplorer les jeunes, sont les nouveaux projets des jeunes enfants algériens.
A ce propos, Mounir, un jeune écolier, en sixième année élémentaire, questionné sur son rêve d’avenir n’a pas manqué de dire qu’il souhaite grandir pour pouvoir aller en France, en Italie où en Corse pour travailler et fonder son foyer ailleurs. Dans sa petite tête d’enfant, il n’est pas possible de vivre en Algérie. Le frère de Mounir d’ailleurs, signale-t-il, a émigré clandestinement à trois reprises et se trouve enfin en Espagne où il mène une vie agréable.
De son côté, Amine, jeune écolier en deuxième année moyenne, affirme vouloir immigrer clandestinement dès qu’il sera en mesure de le faire. «Je ne vais pas attendre de vieillir dans ce bled. Oh, certainement pas. Je partirais dès que possible, comme l’a fait mes deux voisins», dit-il. Nul doute aujourd’hui que le goût pour l’aventure gagne les plus jeunes, tous sexe confondus. En effet, le phénomène ne touche pas uniquement les jeunes de sexe masculin. Les filles également ont été contaminées par le discours des jeunes haragas désespérés par leurs conditions de vie. Impressionnées par les récits de filles ayant embarqué vers l’inconnu, quelques-unes ne dissimulent pas leur désir de s’évader d’un pays «où la jeunesse n’a aucun avenir». Nour, un échantillon représentatif de cette catégorie, aspire à quitter l’Algérie un jour vers des cieux plus cléments où elle serait en mesure d’être maîtresse de son destin, profiter pleinement de sa liberté et de la joie de vivre ailleurs.
Force est de constater aujourd’hui que les enfants ont emprunté le discours des jeunes, ont adhéré à leur camp, et projettent de réaliser, à leur tour, dans un avenir proche, le projet d’immigrer.
Pour les psychologues, il n’est aucun doute que les enfants se forgent leur identité en s’identifiant aux adultes. Dans ce sens, Mme F. Saliha, psychologue clinicienne, explique que par le biais du processus d’identification, les gosses se rendent identiques aux jeunes en cherchant à leur ressembler. Dans ce sens, vouloir quitter l’Algérie, contrée qui, dans le discours des jeunes, est à l’origine de leur désillusion, désespoir et frustration, devient le rêve caressé des enfants qui cherchent, à leur tour, de s’épargner un parcours de souffrance en se construisant un projet d’émigration clandestine.
Sur un autre chapitre, Mme Rabhi, sociologue, explique que le phénomène de l’émigration clandestine se généralise en effet et touche même les plus petits. Ces derniers, souligne-t-elle, vivent dans un contexte socioéconomique difficile, partage les problèmes des adultes. Ainsi, «même s’ils ne perçoivent pas les difficultés existentielles comme ces derniers, ils ne peuvent qu’en être touchés», relève-t-elle. Et d’ajouter que l’immigration clandestine reste un fait sociétal qui reflète l’implosion de la société algérienne, l’amplification du mal être social qui gagne la jeunesse. «Le fait que la recherche de l’eldorado perdu est un rêve qui attire les enfants mérite de tirer réellement la sonnette d’alarme, car dans les année à venir, nous pouvons assister à une explosion surprenante de ce phénomène», s’inquiète-t-elle. De ce fait, la spécialiste insiste sur l’importance de prendre sérieusement en charge ce fléau de société. Elle met en exergue également le rôle important du système éducatif et de la famille, censés instaurer un dialogue avec les gosses autour de la question de l’émigration clandestine.
D. S.

Par : Dalila Soltani

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