Le Midi Libre - Culture - Pour les cinquante ans de «la vierge aux abois»
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«Lecture(s) de Kateb Yacine» de Ismaïl Abdoun
Pour les cinquante ans de «la vierge aux abois»
30 Septembre 2007

L’écriture de Kateb Yacine n’en finit pas de passionner. Depuis la parution de Nedjma en 1956, les lectures s’en sont multipliées ne faisant qu’aggraver l’énigme d’une esthétique qui pour faire planer les lecteurs donne bien du fil à retordre aux spécialistes.

Pour les lecteurs de Kateb Yacine et ceux qui dévorent tout ce qui s’écrit sur cette vivante illustration de la sensibilité algérienne, cet ouvrage arrive à point. A l’occasion des cinquante ans de l’œuvre qui continue à subjuguer les nouvelles générations tout comme «l’ogresse au sang obscur» anihile ceux qui l’approchent, Mohammed Ismaïl Abdoun offre aux lecteurs un travail considérable. L’approche du maître de conférence du département de Français de l’Université d’Alger-Bouzaréah s’évertue à éviter les lourdeurs académiques. On la sent pétrie d’amour pour l’indomptable fils de Aïn Ghrour, ( près de Bouchegouf et Sedrata).
Dans cet ouvrage, l’universitaire reprend, actualise et augmente son travail publié en 1983 sous le titre «Kateb Yacine» et co-édité par les Editions Nathan et Sned. En première partie l’auteur propose sa lecture globale de l’œuvre. En deuxième partie, il expose différentes lectures, dans le sens d’interprétations, de Nedjma. « (…) aucun texte ne peut être interprété selon l’utopie d’un sens autorisé défini, original et final. Le langage dit toujours quelque chose de plus que son inaccessible sens littéral, lequel est déjà perdu dès le début de l’émission textuelle» écrit le linguiste italien Umberto Eco cité par l’auteur.
Une «lecture syntagmatique et paradigmatique des chapitres où apparaît Nedjma et où il est question d’elle » précède «la circulation du sens dans Nedjma», «Brèves remarques sur des lieux de décrochement» et « Je (eux) d’écriture et silence fondateur».
La troisième partie offre un choix de textes de Kateb Yacine. Ce choix est organisé par une approche du discours de l’écrivain selon trois énoncés : lyrique, historique et mythique. L’humour du keblouti né à Constantine en août 1929 est également mis en exergue ainsi qu’une brève note autobiographique dans laquelle Kateb rapporte des éléments de son enfance, fondateurs de son art. Parmi les écrits de l’écrivain, le lecteur a la joie de découvrir la conférence que Kateb Yacine, âgé de 17 ans, prononce sur «L’émir Abdelkader et l’indépendance algérienne» le 24 mai 1947 à la Salle des Sociétés savantes à Paris. «Oui, sans l’agression du colonialisme, il y aurait eu une Algérie musulmane avec son édifice propre et son gouvernement central. Et cette Algérie aurait normalement évolué … » affirme déjà l’impénitent patriote.
Le lecteur retrouve également des entretiens que l’écrivain accorde de son vivant à diverses revues. Ces interviews donne la possibilité de se ressourcer à l’œuvre de Kateb, du point de vue de l’écrivain lui-même et de retrouver ses prises de position courageuses et claires sur les grandes questions de notre temps.
Les rapports entre langues, poésie et système politique y sont décortiqués dans un dossier qui égrènent les positions de l’écrivain de 1963 à 1988. Un vrai bonheur.
L’auteur qui souligne dans son introduction que la plupart des études sur Kateb Yacine tendent dans un souci de clarté à privilégier soit le personnage de Nedjma soit le thème des Ancêtres, réorganise différemment le matériau thématique, dans un but «essentiellement didactique».
«L’œuvre se déroule sur trois plans-ou énoncés- qui non seulement se recoupent, s’enchevêtrent, se contaminent’ mais sont souvent aussi distincts.» écrit l’auteur. Il sort ainsi des sentiers battus pour mieux appréhender la complexité de l’esthétique katebienne. L’essayiste différencie l’énoncé lyrique : « Le discours d’un je, d’une conscience individuelle : par exemple, Nedjma conçu comme un roman d’amour à travers les discours et monologues des quatre héros autour du personnage de Nedjma), l’énoncé historique (dimension politique et sociale de l’œuvre) et enfin, l’énoncé mythique ou idéologique (que l’on pourrait appeler aussi la fiction généalogique ou le mythe de l’origine : thème du passé et des ancêtres)». L’auteur souligne que l’unité de l’œuvre tient dans la combinaison et la diversification de ces trois plans. A partir du Polygone étoilé, les énoncés lyrique et mythique sont abandonnés au bénéfice de la seule expression politique. Les pièces jouées en Algérie le sont en langue populaire et interrogent la société algérienne contemporaine.
Selon l’énoncé historique, l’œuvre de Kateb est fortement marquée par son expérience personnelle de l’Histoire : elle reflète l’aspect fondamental de cette période ; le conflit irrémédiable qui oppose le Colonisateur au Colonisé. «Ni les Numides ni les Barbaresques n’ont enfanté en paix dans leur patrie. Ils nous la laissent vierge dans un désert ennemi, tandis que se succèdent les colonisateurs, les prétendants sans titre et sans amour.» L’univers de Kateb est avant tout un univers colonial fondé sur l’exploitation et l’apartheid.
L’énoncé mythique est celui des Ancêtres que l’auteur interprète comme «rêverie sur l’origine». Cette obsession des origines, commune aux auteurs algériens, est récurrente dans l’œuvre de Kateb Yacine. Elle relève chez ce dernier d’une expérience personnelle, selon l’auteur. Un vautour capturé par son père va être aux yeux de Kateb enfant le déclencheur du mythe de l’ancêtre Keblout que la tribu se représente comme un aigle ou un vautour : «Je me souviens toujours du paysan entrouvrant son burnous au tourbillon vivant qui se jeta furieusement contre les barreaux de la cage toutes griffes dehors, avec une force et une colère que rien ne semblait pouvoir apaiser. Ma mère lui jeta plusieurs morceaux de viande crue qu’il ne vit même pas, et il mourut sans y toucher, au paroxysme de la révolte, après des heures de convulsions et de sursauts désespérés pour retrouver sa liberté.»
L’approche fouillée qu’adopte Ismaïl Abdoun pour appréhender l’écriture complexe de Kateb Yacine, offre de quoi étancher la soif de connaissance à l’endroit des mécanismes de création esthétique. Cette soif qui naît dès la découverte de cette prodigieuse expression littéraire.
Le chercheur part sur les traces de Nedjma, figure centrale de l’énoncé lyrique. Depuis «Nedjma dans les débuts littéraires de Kateb», puis «Nedjma dans le Cadavre encerclé», «Nedjma dans les ancêtres redoublent de férocité», dans «Nedjma», dans «le polygone étoilé.» Un résumé de l’œuvre est également présenté, ainsi qu’une bibliographie sélective des ouvrages et articles écrits sur Kateb Yacine qui clôture l’essai. K.T.
«Lectures de Kateb Yacine» de Ismaïl Abdoun
Casbah Editions, Alger 2006, 287 pages.

Par : karimène Toubbiya

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