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Le cinéaste Ali Mouzaoui à Midi Libre
«Feraoun est un cyprès sous l’orage»
11 Avril 2009

Destins croisés, et rencontre entre deux parcours, à la fois si différents et en même temps si semblables. Mouloud Feraoun a défriché des terrains et tracé des chemins, et Ali Mouzaoui fait partie de cette génération d’Algériens qui affirment qu’ils doivent tout à l’auteur du «Fils du pauvre». Ils partagent tous les deux cette modestie dans la vie quotidienne et le même amour de l’effort et du travail bien fait. Ali Mouzaoui cinéaste : sa dernière production, "Mimezrane", a été primée deux fois au Maroc (meilleur scénario et meilleur film) et à Sétif, à la huitième édition du Festival du cinéma amazigh (prix spécial du jury). Ce film a reçu quatre propositions de distribution (France, Belgique, Suisse, Luxembourg) Avant cela, il avait signé plusieurs autres œuvres, dont : Chrétiens d’Algérie, Da el Mouloud, Les Bijoux d’Ah Yenni, Bandits d’honneur… Romancier, Ali Mouzaoui a écrit ce roman magnifique qui nous a réellement impressionnés ‘’Thirga au bout du monde’’ alors qu’un autre roman est en chantier. Pour ce qui est de Feraoun, Ali Mouzaoui affirme qu’il pense arriver à tracer les contours d’un homme complexe qui, à travers des événements douloureux, a été réceptif et sensible à tout ce qui est blessure.

Midi Libre : A quand remonte ce projet de faire un documentaire sur Mouloud Feraoun ?
C’est un projet du début des années 82 que j’avais présenté à la commission de lecture de la télévision nationale. Il avait été classé A, très positivement reçu. Je l’ai pris en charge, il était programmé dans le cadre de la production, avec Smail Boumoula comme directeur photo, Omar Bouzid comme assistant. Vu la richesse du sujet, je l’avais conçu sous forme de 7 numéros, de 52 minutes. Un jour, on m’a appelé, on m’a dit : «On ne pourra pas faire 7 numéros, mais deux seulement, condensés, forts.» Il fallait dans ces conditions reprendre le texte. Je me suis enfermé à Yakouren, j’ai retravaillé le texte, et je suis revenu à Alger. Là, on m’a dit : «Ecoute, on pourra passer un numéro, mais le deuxième sera sûrement bloqué, donc il faut faire un seul.» Sur ce, je repars à Yakouren. Mais quand je suis revenu à Alger, on m’a opposé un niet catégorique en me disant que «c’est un film qui ne se fera pas.» Sans aucune explication.

Et c’est ainsi qu’on remise au placard un projet culturel…
A l’époque, l’Algérie était embourbée dans des disputes plus ou moins byzantines, de fausses querelles, au détriment de l’essentiel, de ce qui fait notre culture. J’avais compris que les gardiens du temple s’opposaient à tout ce qui n’était pas arabo- islamique. Je pense qu’ils n’arriveraient pas à comprendre qu’une telle attitude était la négation de leur propre personnalité et qu’ils étaient obnubilés au point d’aller vers la défiguration de leur propre identité. Ce qu’il faudrait souligner, c’est que la notion de censure érigée en système dans les autres pays du monde a ses règles et ses principes, mais chez nous, c’est une notion diffuse, basée sur la seule méfiance. Ils ne savent même pas pourquoi ils le font. 

Enfin, l’essentiel est qu’aujourd’hui ça ressorte
Oui, cela dit, le sujet, je ne l’ai pas mis aux oubliettes. Aujourd’hui, le moment est venu de le ressortir. Parce qu’il y a une conjoncture favorable. L’Algérie a entamé une phase de réconciliation avec elle-même. Nous allons inévitablement vers une recomposition de notre identité, dans toute sa complexité. Au-delà de toutes ces querelles qui n’apportent pas un plus, il y a des œuvres. Je dirais que l’œuvre de Feraoun est très présente.

Que peut-elle représenter pour le lecteur d’aujourd’hui ?
Aujourd’hui, elle foisonne de questionnements. C’est une œuvre d’une grande profondeur, en ce qui concerne notre identité. Le rôle d’un cinéaste est de lever le voile sur certaines zones d’ombre, de la mettre à la disposition du citoyen.

A quoi nous invite cette œuvre, justement ?
C’est une invitation urgente à tourner notre regard vers quelque chose d’essentiel, parce que nous sommes à une phase qui ne permettra pas de sacrifier aux oublis une œuvre aussi monumentale que celle de Feraoun.

Que représente Feraoun pour l’écrivain-cinéaste que vous êtes ?
Lorsque je la ramène à moi, je pense que Feraoun a été mon enseignant, mon formateur, mon éducateur. Je ne serais jamais ce que je suis si un roman comme ‘’le Fils du pauvre’’ n’avait pas été là, parce que tous ceux qui ont eu un parcours comme le mien ont eu un jalon qui peut s’appeler Fouroulou.

C’est un idéal ?
C’est un symbole fort qui incite au travail, c’est un mage qui incite au sacrifice dans le but de se surpasser et de prendre une dimension humaine qui se passe des douleurs, des difficultés, chaque fois que l’homme a un idéal. Feraoun reste l’écrivain qui a révélé un pays à travers des romans jamais suffisamment lus, en réponse à des images très approximatives qui sont le résultat de regards extérieurs, et qui ont toujours cours, même de nos jours.

C’est un héritage précieux…
Feraoun, je crois, nous a légué des questions auxquelles nous n’avons pas encore répondu. Nous n’arrivons pas encore à mon sens à voir certains événements avec des yeux humains, impartiaux, et sans complaisance.

Il avait un regard lucide sur la guerre…
Par rapport à la guerre d’Algérie, je dirais que Feraoun est un cyprès par temps d’orage, cyprès par rapport à sa droiture, à sa noblesse. Je pense à l’orage et à tout ce que cela implique, comme foudre, fracas, destruction, comme blessures. Feraoun a eu un regard d’une sensibilité extraordinaire. Il a souffert chaque fois qu’un homme tombe. Son journal, ce n’est pas une comptabilité des victimes, mais plutôt un parchemin où sont alignées des victimes qui chaque fois qu’elles tombent faisaient frissonner ce cyprès.

C’est son œuvre maîtresse...
Le journal reste une vision d’une rare sensibilité. Et là je citerai Mimouni parlant de Feraoun. «A l’intérieur d’une cause juste, il y a des faits condamnables, et Feraoun a su les condamner.»

Pratiquement, où en êtes-vous par rapport au documentaire.
Là, nous avons lancé le film. Le premier tour de manivelle a eu lieu. Au fur et à mesure que nous prenons les images, le documentaire se penche sur l’homme dans toute sa dimension.

Vous reprenez les 7 parties ?
Non, le film se fera en une seule partie de 52 minutes. Il y aura trois acteurs qui vont jouer le rôle de Feraoun. Il y aura bien sûr beaucoup de silhouettes, qui ont compté dans la vie de l’écrivain. On va cerner les événements déterminants : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte.

Sur quel aspect allez-vous insister ?
On va montrer le sens de l’effort. Feraoun a livré un combat permanent. C’est quelqu’un qui est venu de loin et qui s’est fait à la force du poignet. Et qui a tôt saisi l’importance de l’école, d’un idéal à atteindre dans la vie.
Ensuite, il y a eu cette période d’adolescence où il a continué à orienter ses énergies en se positionnant par rapport à une société moderne.

Mais il est resté attaché à sa terre...
Feraoun, durant sa période d’éducateur, est quelqu’un qui s’est accroché aux valeurs de sa Kabylie, au point de se surpasser. Il ne s’est jamais séparé des siens, quel que soit son niveau social, sa réussite. Il a su garder une modestie au milieu des paysans kabyles.

Et puis il y a eu la guerre...
Dans le conflit, par rapport à la guerre de Libération, Feraoun va s’accrocher de façon continue à d’importants personnages qui ont fait notre histoire. Il va faire valoir l’histoire d’un peuple pour avoir des certitudes de demain, pour entrouvrir l’espoir d’une issue positive.

Par : Ahmed Ben Alam

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