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Festin de mensonges de Amin Zaoui
ŒDIPE A TLEMCEN
18 Juin 2008

Avec «Festin de mensonges», Amin Zaoui nous livre une œuvre déroutante narrant la vie débridée d’un adolescent, une vie toute centrée sur le sexe, qui s’amuse aux abords immédiats de l’inceste, des incestes.

Le héros-narrateur est affublé de deux prénoms  Koussaila et Nems pendant que son père en répond à trois : Safir, Gharib et Salouk. Est-ce déjà l’aveu de personnalités double, voire triple ; identité sexuelle, s’entend puisque toute l’œuvre tourne autour du sexe ; de quoi appeler Freud à la rescousse.
Nems aime les femmes mûres et c’est sa tante Louloua, sœur jumelle de sa mère qui va l’initier à la chose dans les endroits troubles, dans des circonstances enchevêtrées. La mère est toujours en filigrane : «Par ses gestes gracieux, musicalisés, par sa beauté berbère lumineuse et son nez juif pointu, par son odeur charnelle de musc, Louloua, comme sa sœur jumelle, ma mère Hadile, savait comment déclencher en moi le feu de l’amour, une passion ardente de la chair dormante ou endormie, l’amour des femmes âgées, respectées, révérées et pieuses, des femmes que j’imaginais toutes comme ça, assises sur le seuil des huit portes saintes du Paradis d’Allah…» «J’adorais Allah, mais j’adorais aussi, un peu plus, un peu moins, que sais-je, Louloua. Elle était la première femme qui m’offrait son corps : une fleur. J’encensais la chair de Louloua et glorifiait Allah dans une profonde et pieuse prière. Et je récitais la Fatiha.» Nems peut réciter tout Le Coran, comme il peut réciter des passages entiers de Flaubert dans Madame Bovary…Les Fleurs du mal… «Quand je lisais le Coran, je pleurais. Et quand je lisais Madame Bovary, je pensais au Coran et pleurais également.» Le narrateur va longtemps, tout au long du récit, flirter avec le blasphématoire. D’aucuns, même parmi les plus modérés, crieraient au sacrilège !

Liaisons dangereuses
Sa seule liaison avec une femme relativement jeune, mais encore plus âgée que lui, avec sa cousine Jade La folle, va tourner court : il va s’avérer impuissant et va écoper d’une gifle et du mépris de l’amante. Nems s’en accommodera et poursuivra sa quête de la maturité. Les liens inter-familiaux clandestins se multiplient pour mettre à jour des liaisons multiples. Déjà Louloua est victime d’une méprise au mariage, c’est elle que le père de Nems devait épouser mais c’est à sa sœur jumelle Hadile (la mère de Nems) que l’erreur va profiter. Louloua est donc, quelque part, «la mère promise» de Nems. Un transfert, au sens psychologique du terme, s’opère donc dans la tête de l’enfant-adolescent à l’âge quelque fluctuant, entre 12 et 14 ans…» L’autre lien clandestin : Houssinine, l’oncle paternel de Nems, surnommé Hô Chi Min va profiter d’un des nombreux voyage de son frère (le père de Nems) pour s’approprier sa femme (la mère de Nems). La relation va peu à peu s’officialiser sous le faux prétexte que le voyageur s’est fait chrétien. «J’aimais ma mère et je chérissais ma tante Louloua.»
La première particularité de Nems est qu’il est né gaucher, ce qui est vu comme mauvaise augure, une sorte de punition divine. On fera tout pour lui enlever cette habitude innée, en vain. Il y a pire : Nems se masturbe de la main droite, la main des ablutions, la main de la pureté… On voit donc que c’est là une œuvre érotique, voire pornographique, n’eût été le talent de l’auteur qui arrive à faire passer des scènes très crues, très directes ; c’est l’art qui trace la ligne ente l’érotisme et la pornographie.
Les liaisons sexuelles de Nems sont vécues presque comme un acte de la vie quotidienne. Dès que Nems parle d’une femme, il faut s’attendre à une liaison sexuelle dont il n’est pas l’instigateur. Les femmes ont toutes une particularité, ne serait qu’au point de vue religieux : la chrétienne Mme Loriot, l’épouse de son instituteur, «la femme de mon maître», la bibliothécaire Rosa, dite Cécile, «la plus âgée et la plus belle d’un groupe de sept vieilles religieuses franciscaines.» Douja, la femme de ménage, est mariée à un juif révolutionnaire qui a pris position pour la guerre de Libération nationale.
S’il faut chercher quelque ossature à l’œuvre, il ne faut pas se fier aux titres des chapitres – ils en sont tous pourvus –, mais noter deux unités de lieu qui sont en même temps deux unités psychologiques : Le Nems de «notre village pauvre et oublié», «sans arbre ni oiseau» n’est pas le même que celui de Tlemcen où le héros est envoyé dans un lycée, pensionnaire. Ces liaisons sont «plus amenées», le style n’est plus aussi haletant et aussi direct et implacable. Le narrateur, l’auteur plutôt, se paie un contre-pied qui fait mouche : Nems croise une femme, deux fois plutôt qu’une, avec laquelle (enfin !) il n’aura pas de relation sexuelle comme l’attend le lecteur formaté. Ce n’est pas pourtant le désir qui fait défaut mais cette femme, une belle femme médecin, ne fait pas le premier pas, ni dans le dortoir où elle surprend le pensionnaire seul, ni dans l’infirmerie où elle lui demande de la rejoindre. Un double contre-pied en quelque sorte. Nems aura quand même sa liaison avec une vielle femme, une liaison qui sera patiemment construite, amenée, le narrateur aura même la patience de nous exposer la vie antérieure de sa conquête. Jamais il ne sera fait directement allusion à Œdipe, ni en tant que personnage de la mythologie grecque ni entant que personnage des tragédies de Sophocle. Un lien existe pourtant, qui ne doit pas être fortuit : Gharib, le père de Nems est un grand voyageur tout comme Laios, le père d’Œdipe. L’arrière plan politico ; historique de l’œuvre de Zaoui se situe entre «2 juin», le juin du putsch militaire contre Ben Bella et le juin de la Guerre des six jours. Le narrateur prend position ne serait-ce que par les portraits qu’il fait des antagonistes. «Nasser, le raïs d’Egypte, grand ami de Ben Bella, boudait le nouveau régime putschiste dirigé par un homme maigre au regard haineux, le colonel Houari Boumediène, de son vrai nom Mohamed Boukharouba.» «Ma tante, elle aussi, aimait le raïs Ben Bella. Ou plutôt elle adorait son physique, sa belle taille, qui le faisait ressembler aux acteurs des westerns américains.»

Tabous ou mensonges
Il sera également fait allusion aux prémices de l’intégrisme islamique en Algérie : «Dans ce bourg ‘’oublié’’ par Allah et par ce nouvel Etat qui, dès les premières années de l’Indépendance, avait construit une école de deux petites salles pour nous entasser comme du bétail, les enfants de tous âges, de cinq à quinze ans, s’étaient retrouvés entre les mains d’un maître égyptien barbu qui ne cessait pas de parler d’un certain Hassan Al’Banna.» Il sera dit par ailleurs que les fameux coopérants égyptiens, nos instituteurs et profs d’antan, étaient tous des adeptes de l’islamisme intégriste dont Nasser s’est débarrassé en le refilant à l’Algérie.
«Festin de mensonges», pourquoi donc ce titre? Auto-censure destinée à mettre en garde le lecteur, lui préciser qu’il n y rien d’autobiographie dans l’histoire ? Alors, pourquoi avoir pris le parti de faire parler le narrateur à la première personne du singulier, pourquoi le ‘’je’’ ? Le concept de Festin implique le plaisir, la jouissance, la jouissance «fausse» n’est que la définition de «fantasme». Le narrateur n’arrête pas de nous dire que telle confidence est fausse. Mais l’auteur, par le biais de son héros, va reconnaître : «Je vous mens vrai», «les aveux ne me dérangent pas. Le destin ne vieillira jamais, l’enfance non plus. Ecoutez-moi jusqu’à la fin, suivez ma langue et ma main jusqu’au fond de la jarre.» La jarre est-elle le subconscient ? Le tabou ?...Peut-être qu’il ne faut plus «laisser le puits couvert»
L’œuvre de Zaoui est rythmée de la répétition d’un dicton, en arabe dans le texte : «Inna aâdhabou el kalam akdhabouhou» (le plus délicieux des discours est le plus mensonger.»
«Les plus beaux mensonges disent eux aussi la vérité, peut-être la vérité la plus authentique qui soit...» Un livre à lire allongé sur son canapé, comme chez son psy…Un livre qui terrasse tous les tabous, qui n’aurait jamais pu voir le jour il y a quelques années, du temps du Parti et de l’Editeur uniques.

Festin de mensonges, roman d’Amin Zaoui, Editions Barzakh, 210 pages, 450 D.A.

Par : Abdelaziz YESSAD

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