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Pablo, Paul, Guernica & le chant de la victoire
16 Juin 2012

Au moment où il écrit le poème, « la victoire de Guernica », en 1938, Paul Eluard est au tournant de sa vie et de sa poésie. En effet, il était influencé par le surréalisme, eu égard à sa rencontre avec Breton et Aragon, ainsi qu’il avait choisi d’explorer les possibilités d’un langage poétique libéré de règles qui verrouillent, qui étouffent, choisissant une expression libre et personnelle.

La guerre d’Espagne éclate en 1936 et le conduit à s’engager profondément du côté de ceux qui souffrent. Sa poésie prend dès lors une autre tournure, devient plus concrète, plus farouche, et plus engagée.
Guernica. Cette ville espagnole fut entièrement détruite par les Allemands au service de Franco en 1937. Cet épisode inspira à Picasso une monumentale peinture qui devint un symbole de la lutte, de l’indignation, ainsi que le cri tonitruant de la liberté. Il inspira à Eluard son «Cours naturel», dans lequel on trouve sa «Victoire de Guernica». Le 26 avril 1937, les avions de l’armée allemande bombardent Guernica un jour de marché. Ce fut un véritable massacre : 1684 morts. Ceci est le symbole de la guerre dans son horreur la plus horrible, une première dans l’histoire moderne où une population innocente est carrément massacrée. Paul Eluard écrira alors ce poème pour dénoncer cette barbarie pendant la guerre en Espagne.
Il faut dire que dans le domaine de la littérature, Eluard fut le principal poète qui réagit face au bombardement de Guernica. En effet, il exprima sa révolte au même titre que la toile Guernica de Picasso. Son poème se termine par un cri d’espoir, par un sourire que l’on perçoit entre ses lignes … Une façon de dire, qu’au-delà de la douleur et du sang qui se plient au coin des rues, sous le soleil troublant et glauque, le regard est tourné vers l’avenir.
« Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison. »
Ce sont des mots d’espoir qui communiquent en cube avec les images de Picasso qui, lui aussi, exprime sa révolte et veut montrer l’ampleur du massacre en utilisant des moyens propres à lui, à son art. Pablo allonge les membres, déforme les visages et les corps (yeux en forme de larmes, pieds et mains disproportionnés), découpe triangulairement le tableau et l’abhorrant de couleur nous permettant d’accentuer le goût de la tristesse et l’idée de la mort qui a fait son jubilé, que chantaient ses magnétophones dans ces quartiers basques. Si Pablo a allongé les membres et a déformé les visages, Eluard avait quant à lui fait une mise à nu des mots, leur donnant des géométries dansantes sur le ton et les notes macabres de cette mort morbide, qui a assassiné des sourires et a violé des vies. Eh puis, c’est parce que certains ont appris à ne jamais voir que jusqu’au bout de leur nez que d’autres subissent leur égoïsme et leur barbarie, et c’est parce que la vie n’est que continuité, que d’autres prennent ces maux en mots et formes, pour jurer par le sang qui coule, de ne jamais oublier, en lettre ou en couleur, en écrivant et criant :
« Le temps n’est funéraire
Que lorsque notre esprit erre
Dans les décombres de ses aérifères
Qui se tissent dans les marasmes
Des moments saumâtres. »
Donc, chantant les mots d’Eluard, faisant la fête de notre victoire, qui tôt ou tard, saura s’arrêter sur le bord de nos routes et trottoirs :
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple
La mort cœur renversé
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.


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