Le Midi Libre - Culture - «Jean Amrouche nous apprend beaucoup sur le colonialisme»
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Edition du 9 Janvier 2010



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Entretien avec TASSADIT YACINE, ANTHROPOLOGUE
«Jean Amrouche nous apprend beaucoup sur le colonialisme»
9 Janvier 2010

Rencontrée au théâtre régional de Béjaïa où elle était l’invitée des organisateurs du Café littéraire de Béjaïa, Tassadit Yacine, anthropologue spécialiste du monde berbère, a bien voulu nous accorder cette interview.

Midi Libre : En tant que chercheuse dans le domaine berbère, pensez-vous que la culture amazighe est sur la bonne voie ?
Tassadit Yacine : Je pense qu’elle est sur une excellente voie, surtout si l’on tient compte de son passé... Il y a seulement une vingtaine d’années on ne pouvait guère se réclamer de ce domaine de recherche sans conséquences. Les chercheurs se comptaient sur les doigts d’une seule main. De ce point de vue, on peut en effet considérer qu’il y a des efforts évidents qui ont été faits. Mais est-ce à dire que c’est suffisant ? Est-ce à dire qu’il y a des recherches de qualité pouvant rivaliser avec ce qui se fait dans les autres cultures ? Je ne le pense pas du tout... Le chantier est ouvert, mais il faut des ouvriers qualifiés et les outils nécessaires à son exploitation. On est encore loin d’avoir atteint cet objectif.

Vous venez de présenter l’ouvrage inédit de feu Jean Mouhoub Amrouche. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Ce journal est un document historique de très grande importance. A travers la vie de cet intellectuel hors du commun - eu égard à ses conditions sociales et culturelles - le lecteur apprend beaucoup sur le colonialisme en Algérie et en Tunisie, sur la vie littéraire, sur sa formation politique, sur sa propre subjectivité... A travers Amrouche c’est un peu comprendre le sentiment que pouvaient ressentir nos parents (ceux de cette génération) à cette même période. Ce qui est marquant et attachant, c’est sa sincérité devant les faits, les situations. Tout en étant francophone et chrétien, il s’est toujours senti Algérien et appartenant à la civilisation musulmane. C’est attendrissant de voir à quel point il avait une capacité extraordinaire de transcender les choses et de les dépasser.

Certains observateurs ont critiqué votre approche littéraire, vous reprochant d’avoir présenté Jean Amrouche comme quelqu’un qui se cherchait durant la période coloniale. Pouvez-vous nous expliquer cette approche ?
Je pense que c’était un peu de la provocation chez certains. Ce serait malhonnête de ma part de présenter ce journal comme celui du seul militant, car cela ne correspond nullement à la réalité. Jusqu’en 1945 (il suffit de lire Le Journal pour s’en rendre compte) Amrouche était comme la majorité des Nord-Africains, c’est-à-dire mis devant le fait accompli colonial. Il retirera sa confiance à la France à partir de 1945. Ce sont ces mêmes événements qui constitueront un tournant dans sa vie et dans sa prise de conscience politique. Je pense que ce serait absolument faux de considérer Amrouche comme un militant dès son jeune âge. L’intérêt pour le lecteur est de suivre son évolution et les circonstances qui ont fait de lui un «militant radical» au point de se faire éjecter de son poste à la radio. Le journal contrairement à Un Algérien s’adresse aux Français, - livre que j’ai édité, sur lequel figurent tous ses articles politiques - présente un intellectuel en formation. Le précédent ouvrage est essentiellement politique et il n’y a pas l’ombre d’un état d’âme s’agissant du colonialisme. Les deux publications sont importantes : elles s’informent l’une l’autre mais sont différentes l’une de l’autre. Je regrette d’ailleurs d’avoir publié Un Algérien s’adresse aux Français avant Le journal.

Selon vous, pourquoi l’Etat algérien continue-t-il d’occulter l’histoire de la famille Amrouche (Taos Amrouche et sa mère, Jean Mouhoub Amrouche); pourtant ils n’ont jamais renoncé à leurs algérianité et berbérité ?
Je pense que l’Etat algérien a été piégé dès 1962 en acceptant d’intégrer un monde arabe pris dans une idéologie monolithique où seuls l’arabe et l’islam ont droit de cité. L’Algérie en niant l’histoire millénaire plurielle de son pays s’est en quelque sorte amputée d’une partie d’elle-même. La famille en est représentative. De ce fait, elle ne pouvait (comme beaucoup d’autres Algériens d’ailleurs dont ils sont représentatifs : la différence c’est que les Amrouche ont multiplié les handicaps) pas avoir sa place. C’était une politique fondée sur une logique d’exclusion où les minorités (quelles qu’elles soient) étaient stigmatisées. Comment imaginer qu’une cantatrice de renom international ne puisse pas chanter au Panaf de 1969 ? Cela a pourtant été le cas de Taos et cela n’a soulevé aucune indignation.

Que pensez-vous de la production littéraire (roman et théâtre) en tamazight ?
Cela dépend laquelle. Je trouve extraordinaire le théâtre de Mohia. Voilà encore un génie qui a disparu sans reconnaissance. Le roman, cela commence à venir... Il faut l’encourager même si les Berbères n’ont pas encore l’habitude de lire dans leur langue.

D’aucuns estiment que la langue amazighe a connu une avancée historique depuis sa constitutionnalisation en 2002. Qu’en pensez-vous ?
C’est bien vrai... Je pense y avoir répondu lors de la première question. La reconnaissance c’est bien, mais il faut maintenant des outils pour travailler, pour valoriser cette langue et cette culture. Il faut parvenir ici (en Algérie) et ailleurs à en faire une véritable langue de création, de pensée...

Avez-vous des projets d’écriture pour l’avenir ?
Je travaille à une anthologie de poésies emblématiques orales (et écrites), à la publication de travaux sur les modes de transmission de la culture dans les sociétés berbères.
G. A.

Par : Ghilés Aksil

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