Au milieu du tourbillon créatif qui anime le 28e Salon international du livre d’Alger (Sila), l’Entreprise nationale de communication, d’édition et de publicité (Anep) se dresse comme un bastion inaltérable de la production intellectuelle nationale. Installé en plein cœur du Pavillon central du Palais des expositions de la Safex, son stand – un îlot de savoir ouvert sur deux façades latérales – ne connaît pas un instant de répit. Des centaines de visiteurs, de tous âges et horizons, s’y pressent dès l’ouverture à 10 heures, attirés par une offre pléthorique : près de 800 titres, couvrant les domaines les plus variés, des sciences dures à la poésie la plus intimiste. C’est une véritable cathédrale du livre, où l’odeur du papier neuf se mêle aux murmures passionnés des échanges, et où l’Anep réaffirme son rôle de sentinelle citoyenne au service d’une Algérie avide de culture.
Fondée en 1962, dans le sillage de l’indépendance, l’Anep n’est pas qu’une maison d’édition : c’est un vecteur d’identité, un miroir tendu à la société algérienne pour qu’elle se contemple, se questionne et se projette. "Nous ne jurons que par la qualité des contenus", martèle Messaoud Alghem, président directeur général de l’entreprise, reçu ce mardi par des figures de proue du paysage culturel. La matinée a vu défiler le ministre de la Communication, M. ir Bouamama, venu saluer cette vitrine d’excellence nationale. L’après-midi, c’est Kamel Sidi Said, conseiller auprès du président de la République chargé de la Direction générale de la communication, qui a honoré le stand de sa présence, engageant des discussions animées sur l’avenir de l’édition en Algérie. Ces visites ne sont pas protocolaires ; elles incarnent un soutien institutionnel à une entreprise qui, année après année, tisse le lien entre l’État et les lettres, entre le pouvoir et la plume.
Mais ce qui frappe avant tout, c’est l’accueil humain qui imprègne l’espace. Conçu et réalisé par la filiale Anep Communication et Signalétique (ACS), le stand allie modernité fonctionnelle et chaleur conviviale. Des étagères aux couleurs de l’emblème national – vert, blanc, rouge – bordent les cloisons, invitant à une déambulation fluide d’un rayon à l’autre. Un personnel dévoué, formé à l’art de la recommandation littéraire, guide les néophytes comme les habitués avec un sourire qui désarme. À la manœuvre pour les relations presse durant ce Sila, Hassan Gherab, conseiller à l’unité d’édition, rayonne d’une énergie contagieuse. "Notre mission ? Rendre le livre accessible, désirable, indispensable", confie-t-il, les yeux pétillants, en désignant les étals surchargés. Et pour y parvenir, l’Anep dégaine une arme fatale : une réduction de 30% sur l’ensemble des titres (hormis les nouveautés), une mesure qui, selon Gherab, "contribue à la socialisation du livre et à la constitution d’un lectorat solide". Dans un pays où le taux de lecture reste un défi, cette politique tarifaire n’est pas un gadget : c’est un investissement dans l’avenir, un pari sur la génération qui lira demain pour penser, débattre et innover.
Plongeons au cœur de cette moisson éditoriale. L’Anep, maison généraliste aux accents historiques, embrasse tous les horizons linguistiques – arabe, tamazight, français – et thématiques. Des romans qui tissent les fils de l’exil et de la mémoire collective aux essais sociologiques qui dissèquent les fractures contemporaines ; des manuels scientifiques rigoureux aux poésies qui chantent l’âme du désert ; des beaux livres somptueux aux nouvelles incisives qui capturent l’instant. Au périmètre du stand, les rayonnages s’étagent comme une bibliothèque vivante : histoire nationale avec des ouvrages sur la Révolution de novembre 1954 – un grand bandeau thématique, "Âme de novembre dans nos pages", célèbre d’ailleurs le 71e anniversaire du déclenchement de l’insurrection glorieuse –, littérature engagée, économie prospective, politique analytique. Un écran géant, diffusant en boucle des extraits et interviews, anime l’espace, transformant la visite en immersion multimédia.
Et puis, il y a ces nouveautés qui font l’événement, trônant sur l’éventaire central comme des trophées. Mosquées et sanctuaires d’Algérie, un ouvrage magistral de l’archéologue et historien Abderrahmane Khelifa, est une ode visuelle et textuelle au patrimoine spirituel du pays. À travers des photographies époustouflantes et des analyses pointues, Khelifa nous emmène de la Grande Mosquée d’Alger aux zaouïas oubliées du Hoggar, révélant comment ces édifices, piliers de l’identité, ont résisté aux tempêtes coloniales et postcoloniales. "C’est un voyage dans le temps et l’espace sacré", résume l’auteur, qui a déjà dédicacé des dizaines d’exemplaires lors de la séance inaugurale. À ses côtés, Ma main est poignée de valise, recueil poétique d’Alima Abdhat, enseignante à l’université et plume sensible, évoque les migrations intérieures et extérieures avec une économie de mots qui frappe au cœur. "La valise comme métaphore de l’errance, mais aussi de la résilience", explique l’autrice, dont les vers, mêlant arabe et français, résonnent comme un appel à l’hybridité culturelle. Ces deux parutions, signées en direct par leurs créateurs, ont conquis un public conquis, prouvant que l’Anep sait repérer et propulser les talents émergents.
Mais l’Anep ne s’adresse pas qu’aux adultes lettrés. Un quart de la superficie du stand est réservé aux plus jeunes : un coin enchanteur aux étales multicolores, regorgeant d’ouvrages pour enfants – albums illustrés, contes amazighs, BD éducatives. Équipé de tables basses et de chaises confortables, cet espace accueille des ateliers gratuits de dessin et coloriage, où des dizaines de pitchouns s’initient à l’art en feuilletant des histoires qui éveillent l’imaginaire.
"Semer la graine de la lecture dès le plus jeune âge, c’est forger la nation de demain", souligne Gherab, observant un groupe d’enfants hilares qui transforment une page blanche en paysage saharien. C’est là, dans ces rires innocents, que l’entreprise citoyenne révèle son âme : inclusive, prospective, profondément ancrée dans le tissu social.
Cette présence au Sila n’est pas un coup isolé, mais le reflet d’une stratégie éditoriale ambitieuse. L’Anep, qui publie annuellement une centaine de titres, accorde une place de choix à l’histoire – non pas comme un passé figé, mais comme un levier pour l’actualité. Des essais sur les dynamiques géopolitiques maghrébines aux biographies de figures oubliées de la lutte anticoloniale, en passant par des analyses économiques sur la transition énergétique en Algérie, le catalogue est un kaléidoscope de la modernité nationale. Et l’ouverture aux auteurs ? Totale. "Nous sommes disponibles pour tout talentueux qui frappe à notre porte", insiste le P.-dg Alghem. Des concours littéraires aux appels à projets, l’Anep cultive un écosystème où la diversité des voix – féminines, régionales, diasporiques – trouve écho. Résultat : un lectorat fidèle, des tirages en hausse, et une empreinte indélébile sur le paysage culturel.
Le 28e Sila, qui se poursuit jusqu’au 8 novembre, transcende les frontières du livre pour devenir un carrefour mondial. Avec 1.254 maisons d’édition issues de 49 pays, et la Mauritanie en invitée d’honneur – terre de griots et de manuscrits anciens –, le salon bruisse de conférences thématiques : littérature et mémoire postcoloniale, édition numérique face à l’IA, rôle des langues minoritaires dans la construction identitaire.
Des débats enflammés sur la liberté d’expression aux ateliers de traduction, en passant par des remises de prix qui couronnent les plumes arabes et africaines, l’événement est une fête de l’esprit. Ouvert quotidiennement de 10h à 20h, gratuit pour le public, il attire des dizaines de milliers de visiteurs, étudiants, intellectuels, familles – un Alger cosmopolite qui vibre au rythme des pages tournées.
Dans ce foisonnement, l’Anep se distingue par sa constance. Pas de stand ostentatoire, mais un espace humble et généreux, où le livre n’est pas un produit, mais un bien commun. Face aux géants étrangers, elle rappelle que la souveraineté culturelle passe par l’édition nationale : investir dans les auteurs locaux, subventionner les prix, digitaliser les archives.
C’est un message lancé aux décideurs, aux lecteurs, aux jeunes : l’Algérie a une voix, une plume, un avenir littéraire. Et au Sila, cette voix résonne fort, portée par 800 titres qui, à eux seuls, racontent l’épopée d’un peuple.
Pour les curieux, le stand Anep est incontournable – un détour qui enrichit l’âme.
Et au-delà du salon ? L’entreprise appelle à une politique nationale renforcée : bibliothèques de quartier, partenariats avec les écoles, festivals décentralisés. Car le livre, en Algérie, n’est pas un luxe : c’est une arme, un rempart, une lumière. Dans les allées du Safex, sous le soleil méditerranéen, l’Anep le prouve une fois de plus : la culture avance, page après page, signe après signe.