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Brahim Tazaghart
«La société kabyle a évolué, mais les gens ne le reconnaissent pas» 
6 Juin 2010

Né à Takouboust près de Tazmalt dans la wilaya de Béjaïa, Brahim Tazaghart, 44 ans, fait résolument partie de la tendance culturaliste du mouvement culturel berbère, mouvement qu’il faut appréhender dans le sens d’un mouvement sociétal pas nécessairement assis sur un appareil politique.
Brahim incarne la néo-littérature kabyle qui depuis les années 2000 essaye d’accompagner les convulsions du développement de l’expression culturelle amazighe dans une Algérie désormais plus ouverte sur sa berbérité. Il s’est déjà fait remarquer en 2004 par ses dons littéraires en signant son premier roman en tamazight Salas d Nuja même si l’homme capitalisait déjà une expérience dans l’écriture, ayant publié deux recueils de nouvelles Ljerrat (les traces) et Akkin i tira (au-delà de l’écrit). Notre écrivain qui a fondé entre temps les éditions Tira, basées à Béjaïa, devient aussi éditeur. Le cumul de ces deux fonctions, - écrivain et patron de maison d’édition - ne semble pas déteindre sur ses capacités rédactionnelles. «C’est une question d’organisation» dit-il simplement. Autodidacte, Brahim a dû renoncer à sa carrière de gestionnaire des établissements scolaires, après avoir exercé en tant qu’économe dans un lycée et chef de service dans une résidence universitaire. «On a une seule vie, on ne peut pas la laisser se consumer pour rien». Brahim Tazaghart a publié au mois d’avril dernier un recueil de poésies sous le titre Amulli ameggaz (Joyeux anniversaire) et compte publier cet été un second roman qui sortira dans sa propre maison d’édition. «Il traite d’un fait de société, notamment des relations entre les Kabyles et les marabouts en Kabylie, et entre les Arabes et les Kabyles en dehors de la Kabylie, le tout sur fond d’histoire d’amour dominée par des ruptures et des réconciliations». Pour lui le lectorat en tamazight commence à se dessiner. Il pense qu’il ne faut pas dramatiser la situation dès lors que le problème du lectorat se pose même au niveau des sphères arabophone et francophone. «Le peuple algérien a longtemps vécu dans l’oralité, il est rare de tomber sur des parents qui mettent entre les mains de leurs enfants au moment de se coucher un livre, c’est dire que l’écriture ne s’est pas démocratisée». Il reproche à l’école de ne pas avoir inculqué le goût de la lecture, les élèves étant, selon lui, objet d’un bourrage qui ne les incite pas à se concentrer. Et d’ajouter «on n’a pas de club de lecture dans les universités et dans les lycées». Il reproche aussi au secteur de la Culture d’avoir failli à ses obligations. D’après lui «les centres culturels ont été détournés de leur vocation, en se transformant en maisons de jeunes, là on apprend le karaté et la couture au lieu et place du théâtre, de la lecture, de l’écriture, de la poésie, et de la confection de petites revues, on aurait bien pu enseigner regrette-t-il la couture dans les centres de formation professionnelle ». «Voyez-vous confesse-t-il, en tant qu’éditeur j’ai du mal à écouler mes livres, à El Kseur ou Oued Amizour, je ne trouve aucune librairie et dans une grande ville comme Azazga,les boutiques qui sont censées vendre le produit culturel ont le profil de librairie-papeterie que de véritables librairies. Et d’ajouter : « C’est l’ensemble de la société qui a un problème avec la réalité, on sort pour manifester pour tamazight mais sur le terrain, on ne fait rien pour améliorer les choses, on parle d’avancées culturelles, je voudrais bien le croire, mais la réalité est toute autre ». Désespoir ? Non. « Il faut insiste Brahim savoir faire le bilan pour pouvoir avancer». En abordant les projets de Tira, ses yeux pétillent. « Nous préparons trois ouvrages en tamazight, l’un en sociologie, le deuxième en psychologie et le troisième en droit. L’édition Tira n’a que 2 années d’existence et a déjà à son actif 16 titres dont 2 seulement en langue non berbère. Je compte aussi traduire les chefs d’œuvre de la littérature universelle à l’instar d’Hemingway, et traduire des anthologies arabes et françaises vers tamazight. J’ai aussi le projet de publier une biographie de Massinissa et de Jugurtha, une collection sur la vie des prophètes, une autre sur les grandes figures de la littérature comme Taos Amrouche, Freud, et Belaïd Aït Ali que va présenter Ali Mezdad ». « Un éditeur, dit-il, digne de ce nom doit aussi commander des réflexions auprès des universitaires » la poésie par exemple de Matoub Lounès révèle selon lui que la société est prête à évoluer. Dans l’une de ses chansons Matoub dit : «  ulac anda ur t-eglalzed uqbel a-kminadi uliw, smehegh-am âamedgham» (Il n’y pas un endroit où tu ne t’es pas alanguie dans un lit alors que je t’attendais, toi à qui je décide de pardonner). «Pourtant en Kabylie on continue à taire les évolutions, dans les villages, on continue de parler de l’honneur tout en gommant les nouvelles réalités induites par la scolarisation des filles qui vont à l’université et qui n’épousent plus le cousin proposé par la famille».
L.G.

Par : Larbi Graine

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