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Ce rivage, où on avance sur le silence* : Abdallah Benanteur
24 Janvier 2019

La Pyrale du buis s’était posé sur sa toile, et le papillon avaitl’air de se délecter de lapeinture à l’huile. La nuit était douce et on annonçait la lune noire pour le lendemain.

ContenuCet été avait vu proliférer les papillons jusqu’à l’automne et la pyraledu buis avait fait des ravages dans lesjardins et sur ses propres basilics.Elle hésitait à le chasser de sa toile, autrefois
sa mère disait que les papillons portaientbonheur et elle souhaitait y croire detoutes ses forces comme à ce 􀀀Rivage" dupeintre Benanteur qui lui rappelait Oran.Abdellah Benanteur était mort en janvier2018 à l’âge de 87 ans en France, lui le compagnon de Mohamed Khadda et JeanSénac,

à égale distance entre la peinture etl’écriture. Il était issu d’un milieu sensible à l’art, àla poésie soufie, à la musique andalouse, ilcommencera à peindre à dix ans . Enfant de santé fragile, ses parents n’ontpas contrarié sa passion pour la peinture etl’ont inscrit dés ses quatorze ans à l’écoledes Beaux Arts d’Oran. Son père lui construiramême un atelier au dessus de sonmagasin.Benanteur passionné par l’oliveraie de son père, il en répétera incessamment le motif.Il sera initié par son père professeur à la
poésie arabe classique et au soufisme.


Il quitte l’Algérie en 1953 pour Paris avecKhadda et exposera dés 1957. Il se mariera avec Monique Boucher elle-même peintre et poétesse et choisira l’exil en France. Il est à noter que dans cette génération d’artistes des années 50, on verra éclore une peinture pleine de modernité quant aufond et à la forme, qui intégreront dansleur propos les luttes de leur société.En effet, Français et Algériens parleront de la guerre, de la lutte contre colonialisme et parmi eux Mesli, Maissonseul, Ikkiakhem, Samson, Cremonini et Benanteur. Ils étaient pétris par les grands courants artistiques et politiques de la première partie du XXe siècle. Ils vont marquer leur refus de l’orientalisme et de l’exotisme et parleront de la domination coloniale, de la lutte de libération comme l’ontfait leurs ainés de Delacroix à Picasso. Et c’est en 1962, à l’indépendance de son pays, que Benanteur commencera la pratique de la gravure et illustrera nombre de textes d’écrivains contemporains dont Jean Sénac, mais aussi les poètes persans

El Saadi et El Khayam, El Nidami et El Firdaoussi. En 1963 il s’occupera des illustrations du catalogue Peintres algériens et organisera à Paris une grande exposition intitulée L’art de la Révolution algérienne. Il fera partie de ces peintres qui tenteront une synthèse entre l’école de Paris (qui était alors le centre artistique international), et la personnalité algérienne avec Khadda et Ben Bella, les "artistes de l’entre- deux dira d’eux" Pierre Gaudibert , conservateur et critique d’art, auteur de la première exposition de peintres algériens à Paris en 1964 en l’honneur de l’Indépendance. Rappelons que durant cette période d’aprèsguerre d’Algérie, aucune exposition de peintres algériens n’était possible en France.

En effet la blessure de la guerreétait vive et elle le restera trés longtemps après, occultant pour des décennies la peinture algérienne alors que la peinturemarocaine prendra son essor conjugué autourisme de masse dés les années soixante dix. Benanteur, lui qui avait commencé par reproduire les tableaux de Rembrant en noir et blanc. -quoi de plus naturel, ilvenait du dessin- il viendra à la couleuraprès la découverte de Matisse et Kleemais aussi de Franz Marc et de l’expressionnismeallemand si proche de sa nature mélancolique. Installé à Paris, le peintre va aussi venir tout naturellement à l’abstraction où le signe pourra trouver sa place -fragment d’écritures disparue- celui des tapis, des coffres et poteries de son enfance à Mosta.

Il va jouer des camaïeux d’ocre, miel, sable à la lisière des monochrome. Quelques années après resurgira la couleur plus vive avec Les Errantes, lesVisiteuses.Dans les années 80, il retrouvera les rives de la Méditerranée avec Tipaza, Médéa" puis, suivront les voyages plus lointains avec ses toiles Perse, Inde, Cachemire sans oublier Djurdjura. Abdellah Benanteur a été acheté et exposé en Allemagne, Belgique, Brésil, ArabieSaoudite, Etats-Unis entre autres mais en Algérie seuls les musées des Beaux Arts d’Oran et d’Alger possèdent certaines de ses oeuvres Benanteur, peintre de la grâce, du spirituel et de l’intime à la fois, reconnu par les musées internationaux et ignoré dans son propre pays voire ostracisé parce qu’il se tenait à l’écart du pouvoir en place. La qualité du travail de Benanteur (ou celuide Mahjoub Ben Bella aussi)

n’a fait, jusqu’à aujourd’hui, l’objet d’aucune reconnaissance par l’Etat algérien. Benanteur est mort oublié par les siens et… Ben Bella vit quasiment reclus dans lenord de la France. Et qui a dit que la beauté et la vérité ne pouvaient pas cohabiter ? La conversation avec Benanteur nous irrigue et elle en est le démenti, elle a comblé les failles, les crevasses, les précipices et a mis à nu notre fragilité . Grace te soit rendue l’artiste ! Le jour pouvait se lever, le papillon s’était envolé et le rêve aussi … Avec mes remerciements à la galerie Claude Lémant (*): Marguerite Duras Artiste peintre, auteure pour le Huffpost

Par : CONTRIBUTION DE MYRIAM KENDSI POUR LE HUFFPOST

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