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Edition du 31 Octobre 2012



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23 ans après la mort du père de Nedjma
Kateb Yacine, source de la littérature révolutionnaire
31 Octobre 2012

Durant les années 50, l’éclatement de la guerre de Iibération s’est fait en parallèle avec l’éclatement de la littérature algérienne. Ainsi, avec des écrivains comme Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Jean El Mouhoub Amrouche... l’identité algérienne a été clamé haut et fort tant sur la scène politique que dans la sphère intellectuelle.



«Si j’avais écrit des choses simples, je n’aurais jamais écrit ce qu’il y a de profond en moi», disait Kateb Yacine. 23 ans après la mort de Kateb Yacine, qui a coïncidé avec l’anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne, cette phrase reste celle qui résume les œuvres du Keblouti.
Kateb est né vraisemblablement le 2 août 1929 (peut-être le 6 août). Il est issu d’une famille berbère chaouie, lettrée de Nadhor, actuellement dans la wilaya de Guelma, appelée Kheltiya (ou Keblout). Son grand-père maternel est bachadel, juge suppléant du cadi, à Condé Smendou (Zighoud Youcef), son père avocat et la famille le suivent dans ses successives mutations. Le jeune Kateb « écrivain » entre en 1934 à l’école coranique de Sedrata, en 1935 à l’école française de Lafayette (Bougaa en basse Kabylie, actuelle wilaya de Sétif) où sa famille s’est installée, puis en 1941, comme interne, au lycée de Sétif : le lycée Albertini, devenu lycée Kerouani après l’Indépendance.
Kateb se trouve en classe de troisième quand éclatent les manifestations du 8 mai 1945 auxquelles il participe et qui s’achèvent par le massacre de milliers d’Algériens par la police et l’armée françaises. Trois jours plus tard il est arrêté et détenu durant deux mois. Il est définitivement acquis à la cause nationale tandis qu’il voit sa mère « devenir folle ». Exclu du lycée, traversant une période d’abattement, plongé dans Baudelaire et Lautréamont, son père l’envoie au lycée de Bône (Annaba). Il y rencontre Nedjma (l’étoile), « cousine déjà mariée », avec qui il vit « peut-être huit mois », confiera-t-il et y publie en 1946 son premier recueil de poèmes. Déjà il se politise et commence à faire des conférences sous l’égide du Parti du peuple algérien, le grand parti nationaliste, de masse, de l’époque. En 1947 Kateb arrive à Paris, « dans la gueule du loup » et prononce en mai, à la Salle des sociétés savantes, une conférence sur l’émir Abdelkader, adhère au Parti communiste algérien. Au cours d’un deuxième voyage en France il publie l’année suivante Nedjma ou le Poème ou le Couteau « embryon de ce qui allait suivre » dans la revue Le Mercure de France. Journaliste au quotidien Alger républicain entre 1949 et 1951, son premier grand reportage a lieu en Arabie saoudite et au Soudan (Khartoum). À son retour il publie notamment, sous le pseudonyme de Saïd Lamri, un article dénonçant l’«escroquerie aux lieux saints de La Mecque.»

Un théâtre pour le peuple
Les écrits de Kateb Yacine sont connus dans la sphère littéraire pour être difficiles ou du moins difficilement analysables.
Reste que face aux textes dramatiques katebiens, le spectateur ou le lecteur pourra facilement s’y identifier et s’y retrouver. Car le théâtre de Kateb Yacine, qui incarne le dramaturge précurseur, a voulu mettre en valeur le patrimoine populaire spécifique à l’Algérie. Utilisant la langue dialectale, populaire, (ce qui n’est pas le cas de la pièce de théâtre l’Etoile et la comète de Ziani Cherif Ayad, présenté au Palais de la culture mardi passé en hommage à Kateb), le Keblouti se fait le porte-parole pour dénoncer la réalité sociale, économique et politique sur le plan national et international. C’est ainsi qu’à travers ses œuvres, il dénonce la féodalité, la bourgeoisie, les traitres, les parasites, le cadi, l’alliance internationale du grand capitalisme mondiale et des colonisateurs, des pétrodollars, etc. D’ailleurs, c’est après son séjour de trois ans au Viêt-Nam d’Ho chi Minh, de 1967 à 1970, que se réveille clairement sa conscience envers l’importance de la lutte des classes et que lui vient l’inspiration d’écrire le Polygone étoilé en 1967. Pour arriver à ses fins, nous remarquons la veine satirique et burlesque dans les œuvres théâtrales de Kateb à l’instar de la Poudre d’intelligence inspirée des contes populaires de J’ha. Ce que J. Arnaud qualifie de par la thématique et le style d’intermède dans la tétralogie. L’autre exemple incontournable est Mohamed, prends ta valise écrite d’abord en arabe dialectal, ce qui a été une nouvelle aventure pour Kateb Yacine. D’autant plus que cette pièce reprend de nombreux éléments, notamment son architecture, dans l’un des textes satiriques de sa suite tétralogique tels que le Cercle des représailles et la Poudre d’intelligence. La particularité de cette pièce et de son théâtre ce sont ses quatre versions différentes. Car Kateb Yacine, au préalable, n’a pas écrit cette pièce, mais l’avait mise en scène directement en l’actualisant à chaque représentation. Kateb Yacine revendiquait ce théâtre dialectal, ce théâtre populaire, miroir de son peuple : «On a tenté une fois de monter le Cadavre encerclé en arabe littéraire. Cela s’est fait sans moi. Au nom d’une arabisation démagogique, on continue à assommer le peuple avec une langue classique qu’il ne parle pas. Ce coup-là m’avait complètement anéanti. Cette fois, "Mohamed prends ta valise" est une pièce parlée, pour trois quarts arabe et un quart français. Tellement parlée que je ne l’ai même pas écrite encore. Je n’en possède qu’une bande magnétique.» Ce théâtre aujourd’hui est plus vivant que jamais. Nous remarquons d’ailleurs le penchant manifeste des troupes de théâtre pour ses pièces. Des représentations ont marqué le programme de l’actualité des activités culturelles à l’instar du Théâtre régional de Sidi Bel-Abbès et sa représentation, lors de l’édition 2007 du Festival national du théâtre professionnel au Théâtre national algérien (TNA), de la pièce de théâtre la Poudre d’intelligence), la troupe Kateb-Yacine de Béjaïa ou encore les Compagnons de Nedjma de Sétif. Nous relevons aussi parmi les pièces de théâtre de Kateb, cette représentation qui s’est tenue le mois de mars 2007 en France, de Mohamed, prends ta valise mise en scène par Amazigh Kateb, le fils de l’auteur. Reste que Kateb n’aurait sans doute jamais voulu qu’on reprenne son nom, pour marquer une manifestation culturelle, tel est le cas aujourd’hui avec le Salon international du livre d’Alger, où les rencontres au Palais de la culture, sans respecter ses principes, son idéologie et sa conception de la culture populaire et révolutionnaire. Nous soutenons cette idée par cet entretien accordé par Kateb Yacine au journal Le Nouvel Observateur (du 10 au 16 avril 1972) : au journaliste qui lui dit : «Tu es tout de même considéré comme un grand écrivain en Algérie et en France…», Kateb déclare : «Un grand écrivain ! Je suis un mythe plutôt. Je représente, jusqu’à présent, un des aspects de l’aliénation de la culture algérienne. J’étais considéré comme un grand écrivain, parce que la France en avait décidé ainsi. En fait, mon nom est connu comme celui d’un footballeur, d’un boxeur, d’une vedette, mais mes livres ne disaient rien de précis au peuple puisqu’il ne les avait pas lus.» En somme, le théâtre de Kateb Yacine est profondément satirique et burlesque. C’est un théâtre de dérision. C’est un théâtre politique à travers lequel Kateb dénigre le pouvoir et son système. Cette manière franche et profondément politique nous la retrouvons dans la plupart des œuvres de Kateb à l’instar de la Poudre d’intelligence, le Cadavre encerclé, ou encore dans les Ancêtres redoublent de férocité. Le théâtre et l’humour de Kateb dans ses différentes pièces est foudroyant. Derrière le rire, qui apparait à première vu naïf et intentionnel, se cache une veine satirique, burlesque à travers laquelle Kateb dénonce et critique –grâce à un langage incisif et décapant qui frise l’arrogance – le système politique. Plusieurs pièces de Kateb Yacine ont fait l’objet de thèses de magister et de doctorat. Elles ont fait également l’objet de la parution de plusieurs livres écrits par des spécialistes de la littérature, par des journalistes et même par des amis du défunt Keblouti, qui l’ont côtoyé de près.


Bibliographie consultée
- Abdoun Mohammed-lsmàil, Kateb Yacine, Alger / Paris, Sned / Fernand Nathan, Coll.
«Classiques du monde», 1983.
- J. Arnaud, la Littérature maghrébine de langue française. II/ le cas de Kateb Yacine, Editions Publisud, 1986, p. 355.
- Kateb Yacine. Le Poète comme un boxeur. Entretien 1958-1989, Editions du Seuil, 1994, p. 73-74, In le Nouvel Observateur, du 10 au 16 avril 1972 (propos recueillis par Nicole Muchink).
Jean Déjeux, Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française, Paris, Éditions Karthala, 1984 (ISBN 2-86537-085-2).
Anthologie de la littérature algérienne (1950-1987), introduction, choix, notices et commentaires de Charles Bonn, Le Livre de Poche, Paris, 1990 (ISBN 2-253-05309-0).

Par : Kahina Hammoudi

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