Le Midi Libre - entretien - Pour une malheureuse torche !
Logo midi libre
Edition du 8 Mars 2012



Le Mi-Dit

Caricature Sidou


Archives Archives

Contactez-nous Contacts




Vol à l’étalage
Pour une malheureuse torche !
8 Mars 2012

Savoir contenir ses désirs fait partie des grandes vertus. Quand ces désirs nous submergent et qu’on ne peut pas les maîtriser, ils ne peuvent que nous nuire. C’est un peu ce qui est arrivé à Mounir.

Mounir n’a que 20 ans. L’âge où l’on veut tout avoir ; l’âge où l’on trouve les privations et les frustrations injustes, intolérables. Mounir passa pour la énième fois devant le magasin du cœur de la capitale et s’y arrêta pour admirer la belle paire de baskets qui lui faisait envie. Elle le faisait souffrir également parce qu’il lui était impossible de l’acheter. Deux millions de centimes. Vouloir acheter une paire de chaussures à deux millions de centimes alors qu’il n’avait même pas de quoi se payer une tasse de café dans un gobelet était de la folie et il en était pleinement conscient. Que dire alors de ceux qui rêvaient d’un mariage fastueux avec une fille aussi belle que Badr el Boudour des Mille et une nuits, le soleil et le clair de lune réunis alors qu’ils étaient aussi fauchés qu’un champ de blé en été, se disait-il pour se donner bonne conscience. Il décida alors de s’éloigner de la vitrine et de l’objet de son désir inassouvi. Après avoir marché un bon moment, il s’arrêta, réfléchit puis retourna jusqu’au magasin. Il regarda subrepticement à l’intérieur, examina le mouvement de la foule le long de la rue où il se trouvait et celle des ruelles adjacentes et il sourit. Satan venait de lui suggérer une idée fort désagréable. En voulant se gratter le menton, il toucha du bout des doigts sa barbe de trois jours et il se dit qu’il avait besoin d’un petit relookage pour bien réussir son coup qu’il décida finalement de différer pour le lendemain.
Le lendemain, il sortit de chez lui avec la ferme intention d’entrer en possession de la paire de chaussures dont il rêvait du matin au soir et qui lui avait fait perdre l’appétit et toute envie de dormir. Il avait pris une douche, s’était rasé, s’était parfumé et fixé ses cheveux avec du gel. Bref, il avait tout fait pour avoir l’air de quelqu’un qui pourrait bien acheter une paire de chaussures à deux millions de centimes.
Il arriva devant la vitrine du magasin, examina de nouveau la paire de chaussures pour s’assurer qu’elle méritait bien la folie qu’il allait commettre pour elle et décida d’y entrer.
Une fois dans le magasin, il détailla les deux jeunes vendeurs qui s’y trouvaient. L’un était gros et, par conséquent, ne pouvait constituer de danger pour lui mais l’autre était plutôt fort et svelte. Mais il pourrait en venir à bout facilement à cause des chaussures qu’il avait aux pieds. Ce fut le gros vendeur qui s’avança pour lui demander ce qu’il voulait.
- Je peux voir la paire de baskets en blanc se trouvant en vitrine ?
- Celle qui coûte… ?
- Deux millions de centimes ! Je chausse du 42.
- Je vais vous la ramener.
Le jeune vendeur regarda la tête de Mounir et dut juger que le gel qu’il y avait mis était un indice suffisant pour qu’il fasse partie des jeunes nantis qui portent des chaussures valant les yeux de la tête. Alors, il tourna les talons, disparut un moment derrière l’arrière-boutique puis revint avec une boîte qu’il remit à Mounir. Celui-ci prit un air digne, ouvrit la boîte et s’assura qu’elle contenait la paire de chaussures qui l’empêchait de dormir depuis des mois. Puis, il jeta un coup d’œil fugace à l’extérieur et constata qu’il y avait toujours du monde. Il se leva et demanda au jeune vendeur :
- Tu es sûr que c’est le même modèle que celui que j’ai vu en vitrine ?
- Mais bien sûr… Tu peux vérifier…
Mounir se leva, fit mine de regarder dans la vitrine, puis soudain sortit du magasin en courant avec la boîte de chaussures à la main.
Le vendeur fut si surpris par ce qui venait de se passer que pendant un moment, il demeura sans voix. Il finit par se ressaisir, se retourna vers son collègue et cria :
- Oh ! Tahar… il m’a eu ! Il s’est enfui avec des chaussures à deux millions.
- Quoi ?
Tahar sortit aussitôt tel une fusée. Il ne tarda pas à voir Mounir en train de courir comme un lièvre. Mounir qui portait des baskets courait plus vite que le vendeur qui devait être gêné par ses chaussures en pointe surélevée. Les calculs du jeune voleur étaient justes… mais il avait juste oublié que la vie était pleine d’imprévus. C’est ainsi qu’au détour d’une ruelle, il tomba nez à nez avec deux policiers qu’il heurta. Ceux-ci l’arrêtèrent et lui demandèrent pourquoi il courait si vite. Il n’eut pas besoin de leur répondre. Ce furent les cris du jeune vendeur arrivant au loin qui le firent à sa place. «Arrêtez-le ! C’est un voleur, c’est un voleur !»
Mounir quelques jours plus tard se retrouva au tribunal d’Alger. Avec sa voix de jouvenceau, il parvint à convaincre le juge qu’il désirait tellement avoir la paire de chaussures que Satan l’avait aveuglé et lui avait dicté un acte condamnable. Il fut condamné à six mois de prison avec sursis. Le 15 janvier de l’année en cours, Mounir sortit du tribunal, libre et se promit de ne plus s’intéresser à ce qu’il ne pourrait pas acquérir. Il se rappela du coup le dicton algérien qui énonce que ce qui ne nous est pas destiné ne ferait que nous fatiguer inutilement.
Mais au cours de mois de février, il se passa quelque chose d’insolite. Alors qu’il se promenait à Meissonnier au centre d’Alger, il entra dans un magasin de vaisselle et d’électroménagers. Que voulait-il acheter ? Il ne le savait pas… De toutes les manières, il n’avait que 50 DA en poche. Soudain son regard fut attiré par une torche électrique d’une valeur de 200 DA. Il s’en approcha, la prit entre les mains et l’examina. Tout en découvrant la manière dont les Chinois fabriquaient ce genre de petit objet, il se rappela le mal qu’il avait eu quelques jours plus tôt pour retrouver une pièce de 10 DA qui lui était tombée des mains à l’intérieur da la cage d’escaliers de l’immeuble où il habitait. Il se dit qu’avec cette torche, il n’aurait plus peur que des objets tombent de ses poches en pleine obscurité ! Et il n’aurait pas passé un quart d’heur à chercher une pièce de 10 DA dans le noir. Avec cette torche, il n’aurait besoin que d’une à deux secondes ! Il sourit mais aussitôt son visage s’assombrit. Il n’avait pas les 200 DA nécessaires pour l’acquisition de la torche… Qu’à cela ne tienne ! Il la volerait ! Mais cette fois, il n’était plus question de courir au risque de retomber nez à nez avec des agents de police. Cette torche était petite et dans le magasin, il y avait un monde fou. Pour qu’un des trois vendeurs puisse le voir, il aurait fallu qu’il ait des yeux derrière la tête et dans le dos ! S’étant assuré qu’aucun d’eux n’était en positon de le voir, il glissa la torche dans la poche intérieure de son veston. Aucun vendeur ne l’avait vu ! Il avait réussi son coup ! se dit-il. Et il avait amplement raison. En revanche, ce qu’il ne savait pas c’est qu’une cliente l’avait vu et en avisa un des vendeurs. Et dès qu’il fut sur le point de franchir la porte du magasin et de s’en aller, deux grands gaillards se saisirent de lui, lui enlevèrent la torche et l’emmenèrent au poste de police le plus proche. Tout récemment, Mounir s’est retrouvé au tribunal d’Alger pour la seconde fois en moins d’un mois. Le juge cette fois-ci a requis contre lui deux ans de prison ferme. A cause d’une malheureuse torche. Il voulait de la lumière et il avait gagné l’obscurité d’une cellule !

Par : Kamel Aziouali

L'édition du jour
en PDF
Le Journal en PDF
Archives PDF

El Djadel en PDF
El-Djadel en PDF

Copyright © 2007 Midilibre. All rights reserved.Archives
Conception et réalisation Alstel