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Edition du 23 Juin 2011



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Mahmoud Boudarene* psychiatre, au Midi Libre :
«En Algérie, la maladie est de plus en plus diagnostiquée»
22 Juin 2011

Le docteur Mahmoud Boudarene est l’auteur de nombreux articles sur le stress publiés dans des revues internationales : Annals of New york Academy of sciences, l’Encéphale (revue de psychiatrie biologique), revue francophone du stress et du trauma, Journal international de victimologie (JIDV : journal électronique). Nous l’avons contacté afin qu’il nous explique ce qu’est la maladie d’Alzeimer.

Midi Libre : Pouvez-vous nous définir brièvement ce qu’est la maladie d’Alzheimer ?
Docteur Mahmoud Boudarene : La maladie d’Alzheimer - du nom du médecin allemand (1864-1915) qui l’a décrite - est une affection neuropsychiatrique qui touche les personnes âgées de plus de 65 ans. Cliniquement, elle se manifeste par un syndrome démentiel qui s’installe progressivement avec une perte graduelle et irréversible des fonctions mentales, notamment de la mémoire. Cette forme de démence sénile est due à la dégénérescence des cellules nerveuses, les neurones de certaines régions du cerveau. On ne sait pas encore pourquoi ces neurones meurent et à l’heure actuelle, on ne sait pas non plus comment arrêter ce processus. La maladie d’Alzheimer est la principale cause de démence chez les personnes âgées. 26 millions de sujets étaient concernés en 2005, 35,6 millions de malades en 2010, un chiffre qui devrait passer en 2050 à 115,4 millions d’individus. C’est une des maladies les plus coûteuses pour les économies des pays développés. 604 milliards de dollars US y ont été dépensés en 2010. C’est la troisième cause d’invalidité après 60 ans à travers le monde, avec une prévalence de 4 à 6 pour 100.000 habitants.

Quels sont les symptômes de cette pathologie ?
La maladie d’Alzheimer a été, pendant longtemps, sous-diagnostiquée parce que les troubles qui sont observés chez le sujet âgé ont été assimilés à des aspects normaux de la vieillesse (de la sénescence) ou confondus avec d’autres désordres neurologiques de même nature, à l’exemple de la démence vasculaire. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’aucuns se demande d’ailleurs si, à l’inverse, il n’y a pas actuellement une inflation de ce diagnostic. Quand elle est installée, la maladie d’Alzheimer s’exprime par des symptômes nombreux et variés. Au tout début de l’affection, le diagnostic n’est pas aisé et les signes cliniques sont difficiles à mettre en évidence. A ce stade, des tests neuropsychologiques très particuliers sont indispensables pour mettre à jour l’affection. Les examens radiologiques, quant à eux, montrent une atrophie corticale qui touche d’abord les régions du cerveau impliquées dans la mémoire. Quand la maladie a gagné un peu plus de terrain, des troubles de la mémoire, d’abord discrets puis de plus en plus importants, apparaissent. Il s’agit au début d’une distractibilité, le sujet n’arrivant pas à fixer son attention et à mémoriser les faits récents. Tout se passe comme si l’individu gommait au fur et à mesure les événements vécus. Il ne sait plus ce qu’il a mangé la veille ou même durant la journée, il ne sait plus qui il a rencontré, ce qu’il a fait, etc. C’est l’amnésie antérograde. Un désordre mental très facile à repérer. Quand le patient est forcé à se rappeler les événements, il n’est pas rare qu’il invente pour compenser. Il affabule. A contrario, les événements les plus anciens sont frais dans l’esprit et sont facilement restitués, évoqués. Ce qui fait toujours dire à la famille que le sujet a encore toute sa tête et qu’il a «une mémoire d’éléphant». En réalité, au fur et à mesure que la maladie évolue, la mémoire des faits anciens s’amenuise à son tour. Les souvenirs les plus enfouis étant les derniers à disparaitre. Plus tard, l’orientation dans le temps et l’espace, fonction mentale consubstantielle de la mémoire, est à son tour compromise et des fonctions élémentaires comme s’habiller, se laver, se raser deviennent problématiques. A ce stade, l’humeur est le plus souvent altérée avec des crises de colère, des moments de tristesse et de découragement ou encore une euphorie niaise avec excitation. La perte du sens des convenances sociales, du contrôle du comportement instinctuel et affectif - qui émaille généralement l’évolution de la maladie empoisonne le climat socio-familial. Le sujet fait ses besoins sur lui, il ne dort plus la nuit, il est agité et la moindre contrariété aggrave cet état. Une situation particulièrement douloureuse pour la famille. La durée d’évolution de la maladie est variable d’un individu à un autre et l’espérance-vie va de trois à huit ans environ. Elle est tributaire de l’intensité des changements psychologiques induits par la maladie, du niveau de tolérance de l’environnement familial, de la qualité des soins et de celle (la qualité) de l’accompagnement humain qui lui est prodigué.

Quand faut-il s’inquiéter et consulter ?
Il faut consulter dès que l’on se rend compte qu’il y a un changement dans le comportement du sujet, dès l’apparition des premiers symptômes. Mais il est vrai qu’il n’est pas toujours facile, pour l’entourage ou la famille, de se rendre compte du début de la maladie qui est, comme je vous le disais plus haut, très discret. C’est pourquoi le malade arrive en consultation quand les désordres psychiques sont importants et qu’ils sont à l’origine d’une perturbation du climat familial… Quand le malade est agité, qu’il ne dort plus, n’arrive plus à manger ou à s’habiller seul ou encore quand il commet des actes dangereux ou en contradiction avec les convenances sociales, etc. La maladie est alors bien installée. Le patient devient très difficile à accompagner au quotidien, il épuise toutes les ressources de la famille qui est fatiguée, désemparée et qui vient consulter pour chercher le soulagement et obtenir la tranquillité. Il faut calmer l’agitation, il faut le faire dormir, des requêtes habituellement formulées au médecin. Malheureusement, à ce stade, le praticien n’a pas
grand-chose à proposer. Il pose le diagnostic de la maladie et prescrit généralement un traitement symptomatique pour tenter de répondre rapidement à la demande pressante de la famille : avoir un peu de tranquillité, de repos. Il est vrai que ces malades épuisent. La prescription de médicaments spécifiques n’est pas toujours acceptée par les familles, d’abord parce qu’ils coûtent excessivement chers et posent le problème de leur remboursement, ensuite parce que leur efficacité est hypothétique. Il n’est pas inopportun de souligner que ces molécules chimiques viennent seulement de pénétrer le marché algérien et que la caisse de sécurité sociale traîne les pieds pour effectuer les remboursements ou pour accorder l’avantage du tiers payant à ces malades... quand ils sont assurés. Pour ceux qui ne le sont pas, c’est la galère.

Quelles sont les personnes à risques ?
Les causes exactes de la maladie d’Alzheimer sont encore mal connues. Toutefois, des facteurs génétiques et environnementaux concourent à son apparition.
5% environ des sujets atteints par la maladie sont des cas familiaux. La génétique et l’hérédité jouent, ici, un rôle prépondérant. La forme dite «forme sporadique», qui est la plus courante, semble favorisée, quant à elle, par des facteurs environnementaux. Bien sûr, elle augmente fortement avec l’âge et l’espérance-vie mais elle peut aussi être favorisée par l’hypertension artérielle, la consommation d’alcool, le tabagisme, les traumatismes crâniens, le cholestérol, etc. Vivre dans un pays industrialisé semble augmenter le risque de faire un Alzheimer, du fait de la présence de l’aluminium dans l’environnement, d’être régulièrement en contact avec des métaux lourds comme le mercure ou encore d’être exposé à certains solvants ou aux champs électromagnétiques. Certains pays sont cependant moins touchés par cette pathologie, à l’exemple du Japon dont la prévalence de la maladie est 10 fois plus faible qu’en France. Le bannissement du mercure de nombre de ses usages et notamment des amalgames dentaires est évoqué comme pouvant être à l’origine de la faible prévalence de la maladie dans ce pays. Des hypothèses de recherches, sans plus. A ce jour, rien de probant n’a été démontré.

Est-ce une maladie répandue en Algérie ?
Oui, la maladie d’Alzheimer est répandue en Algérie et les médecins auront à la diagnostiquer de plus en plus souvent. Pourquoi ? Parce que, je l’ai souligné plus haut, la prévalence de la maladie s’accroît avec une durée de vie plus longue. C’est une donnée largement admise et c’est pourquoi, cette maladie suscite encore un intérêt très particulier dans les pays occidentaux. Les populations de ces contrées ont beaucoup vieilli et la durée de vie y est très longue. Fatalement, dans l’absolu, le nombre de malades y est très important. Dans notre pays, l’espérance-vie a également augmenté et les personnes vivront de plus en plus longtemps. C’est donc naturellement que le risque de «faire» un Alzheimer devient plus grand. Ainsi, nous aurons, en Algérie, de plus en plus de sujets atteints de cette forme de démence sénile. Les pouvoirs publics devraient s’y préparer pour répondre aux besoins spécifiques de tels malades et à venir en aide aux familles en anticipant notamment sur les dispositifs et structures à mettre en place pour les accueillir. L’Assemblée nationale vient de voter une loi pour protéger les personnes âgées. Mais cette loi - qui axe et focalise la responsabilité de cette protection sur les familles - ne met pas clairement l’Etat algérien dans l’obligation de donner, aux parents, les moyens indispensables pour répondre à la demande de prise en charge et de protection des personnes âgées, en particulier celles malades. A plus forte raison, celles qui présentent l’Alzheimer.

Les traitements actuels peuvent-ils stopper l’évolution de la maladie ?
Au moment où je réponds à vos questions, il n’y a pas encore de traitement efficace contre la maladie d’Alzheimer. Bien sûr les industries pharmaceutiques proposent des molécules censées mettre fin à la dégénérescence cellulaire et stopper l’évolution de la maladie. Force est de constater que les résultats sont décevants. Par contre il existe sur le marché des médicaments qui permettent le traitement de certains symptômes comme l’insomnie, l’agitation ou encore les troubles de l’humeur en particulier la dépression. Nous sommes ici dans le volet du traitement palliatif. Encore que ce dernier ne doit pas être réduit à la prescription des seuls produits chimiques. En plus des soins habituels qui doivent être prodigués aux personnes âgées, un accompagnement adapté aux besoins particuliers, de nursing par exemple, doit se faire à la carte. Quelquefois, mais ce sera de plus en plus souvent, dans des structures spécialisés de gériatrie… qui n’existent pas dans notre pays.

Comment doit se comporter l’entourage d’un malade ?
C’est une question difficile. Elle l’est d’autant plus que vos lecteurs attendent, sans doute, de cet entretien la recette qui va soulager leur souffrance. Je vais les décevoir, car de recette, il n’y en pas. Je peux seulement leur dire que la souffrance qu’ils endurent est pénible et qu’elle peut naturellement les amener à avoir des sentiments négatifs, qu’ils peuvent avoir de la colère, des comportements inadaptés, de l’intolérance, de la fatigue, etc. Tout cela est normal et ne doit pas susciter en eux un sentiment de culpabilité. L’important est qu’ils en prennent conscience et qu’ils arrivent à réguler leurs émotions. Vivre avec un malade Alzheimer est particulièrement éprouvant sur le plan affectif et émotionnel. C’est pourquoi les familles doivent être aidées en permanence et que l’Etat doit apporter sa très grande contribution. Pour s’entraider, les enfants prennent, chacun son tour, le père ou la mère malade. Si le soulagement de l’un ou l’autre - apporté par cette façon de faire - est une réalité, le malade, quant à lui, ne bénéficie pas de ces «déménagements». Les troubles du comportement, du sommeil et l’agitation, s’accentuent généralement dans ce cas, et parce que le sujet perd ses repères familiers, il perd encore plus sa mémoire et est plus désorienté dans le temps et l’espace. Ces désordres psychiques sont quelquefois mal perçus par les enfants qui les interprètent comme un refus du malade de s’installer chez lui. C’est pourquoi, il faut éviter de tirer ces personnes de leur environnement habituel et les enfants, plutôt que de déménager le malade, devraient venir, quand cela est possible, aider celui-ci à son domicile. Par ailleurs, on sait aujourd’hui que le maintien, le plus tard possible, d’une activité, notamment intellectuelle, retarde l’apparition et l’évolution de la maladie. L’oisiveté et l’inertie étant responsables, bien sûr, de l’effet inverse. Il faut donc que les familles sachent qu’il faut éviter d’aller au devant des désirs des personnes âgées et que les pousser, voire les exhorter, à s’occuper eux-mêmes de leurs petites affaires leur sera très bénéfique. Il en est de même des activités qui leur permettent des échanges, l’information, la lecture, la télévision, etc. Pour le reste le médecin traitant donnera les conseils adaptés aux besoins du malade.

*Docteur en sciences biomédicales Auteur de l’ouvrage Le stress, entre bien-être et souffrance : Berti éditions, 2005

Par : Ourida Aït Ali

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