«Ibrahim a transformé ma prison en une salle de classe», déclarait sa sœur, la poétesse de renommée internationale, Fadwa Toukan, deux mois avant sa mort. Né en 1905 à Naplouse et mort en 1941, Ibrahim Abdul Fatah Toukan, trop amoureux de la liberté pour participer à l’oppression de sa propre sœur, était un brillant érudit et un grand poète. Considéré comme l’un des artistes précurseurs des années trente, il laisse malgré sa mort prématurée une œuvre poétique à la forme nouvelle et aux accents prophétiques.
«Ne vous inquiétez pas pour sa sécurité,/ Il porte son âme dans sa paume,/Ses angoisses l’enveloppent/ D’un linceul coupé dans son oreiller». C’est ainsi qu’ Ibrahim Toukan commence son poème intitulé El-FIdaï. Il écrit plus loin «A la porte de la gloire,/ Il est debout/ et la mort a peur de lui». Ce texte écrit avant l’occupation de la Palestine a une forme résolument moderne et un contenu des plus explosifs. A sa mort, le poète lègue au monde un volumineux recueil intitulé : "Diwan Ibrahim Toukan", publié par quatre maisons d’édition et réédité pratiquement tous les dix ans (réimprimé à Beyrouth en 1955, 1965, 1975 et 1988). Il laisse également des lettres, essais, poèmes inédits et entretiens radiophoniques publiés par Al-Moutawakel, Dar Al-Aswar et Dar Al-Shorouk, notamment à Amman et Beyrouth. Cet érudit en littérature arabe, enseignant dans plusieurs universités a également été en charge du programme arabe de la station de radiodiffusion de Jérusalem de 1936 à 1940.
Né en 1905, en Palestine dans le district de Naplouse au sein d’une famille aisée et conservatrice, il est inscrit à l’école primaire d’Al-Rashidieh. Selon les biographies consultées, cette école dispense un enseignement différent de celui qui a cours dans les écoles qui dépendent alors d’un système sous domination ottomane. C’est ainsi, dit-on, que le jeune garçon est influencé par la littérature moderne et le mouvement de renaissance poétique qui a alors lieu au Caire. C’est à Jérusalem qu’il poursuit ensuite ses études secondaires à l’école Al-Mutrane. Là, son professeur, Nakhleh Zureik, l’initie à la poésie arabe ancienne. Il y acquiert une solide maîtrise de la langue du Coran. Il rejoint l’Université américaine de Beyrouth en 1923 et y passe 6 années. Après obtention d’un diplôme en littérature arabe en 1929, il retourne dans sa ville natale de Naplouse et occupe le poste de professeur à la Najah National School. Puis, il retourne à l’Université américaine de Beyrouth et y enseigne la littérature arabe de 1931 à 1933. Il enseigne ensuite en Irak dans les Teachers College puis rentre, très malade, en Palestine. Sa santé, fragile dès l’enfance, se détériore alors et il meurt le second vendredi du mois de mai 1941 à l’âge de 36 ans. Cette mort est largement à l’origine des accents élégiaques de la poésie de sa sœur Fadwa qui porte le deuil de ce frère bien-aimé toute sa vie. Son œuvre brillante lui survit et continue à nos jours son bonhomme de chemin dans les journaux et média arabophones. Ibrahim Toukan est considéré comme un précurseur et fait partie de ceux que l’on appelle les poètes des années 30, notamment, Abderrahim Mahmoud et Abdelkarim al-Karni. Ces artistes dont le vécu est au cœur de l’histoire sont considérés comme ceux qui ont donné l’impulsion à la poésie palestinienne moderne. Avant eux, le respect des règles de métrique et des formes fixes de la poésie arabe classique était strictement appliqué. Mais ces poètes ont produit des textes différents puisant leur impulsion du combat national et politique des Palestiniens. Le fait le plus notable relevé est le passage du «Je» au «Nous». Ceci est considéré comme une concrétisation de l’émergence d’une conscience nationale. K. T