«Bwana», projeté dimanche dernier, tente de cerner la problématique du racisme depuis l’africanophobie ordinaire des familles type «Dupont-Lajoie» à l’idéologie de la purification ethnique d’extrême droite. La question des catégories fragilisées qui subissent oppression et exclusion est également traitée, avec un bonheur inégal.
«Oui, le film m’a beaucoup plu !» déclare Elizabet, enseignante d’espagnol et de catalan à l’institut Cervantès d’Alger rencontrée dimanche dernier au Mouggar à l’issue de la quatrième projection de cette semaine cinématographique. Accompagnée de Francesco son confrère et entouré d’un groupe de ses élèves, Elizabeth n’a raté aucune projection. Il faut dire que la manifestation qui se déroule discrètement au cœur d’Alger est une aubaine pour ceux qui s’intéressent à la langue de Cervantès et à la culture ibérique. En effet «Bwana» de Imanol Uribe offre un sujet de débats interminables. Il traite de phénomènes qui font l’actualité des deux rives : les harragas, le racisme et l’exclusion sous toutes ses formes.
La voiture du chauffeur de taxi Antonio tombe en panne alors qu’il se dirige avec femme et enfants vers une des plages de la côte. Arrivés au bord de la mer, dans un lieu splendide mais désert, les deux enfants Jessy et Ivan et leurs parents ramassent tranquillement des coquillages comestibles. Brusquement leur petite dernière qui explorait le coin déboule en criant qu’elle a vu des Noirs morts. Personne ne la prend au sérieux jusqu’à ce que son frère plus âgé fasse part de la même découverte. Claqué par son père qui a la main plutôt leste, le petit garçon retourne avec sa sœur sur les lieux de la découverte. La caméra zoome sur un jeune homme noir, agenouillé au chevet d’un compatriote qui visiblement vient de décéder. Apercevant les enfants, le jeune harrag sourit ce qui les fait détaler en proie à la plus grande frayeur. Cette peur se transforme en terreur générale lorsque le jeune homme affamé vient demander de l’aide à la famille dans une langue incompréhensible. Dans une pagaille indescriptible, la mère de famille prévient ses enfants que les gens venus de la jungle sont cannibales. «Viva Espagna ! Induran !» crie alors le harrag sub-saharien ce qui a comme effet immédiat d’adoucir Antonio qui, revenant à de meilleurs sentiments, lui offre leur dernier sandwich. S’ensuit une série de situations tragi-comiques où le réalisateur explore l’ampleur des préjugés et des idées préconçues que se font les Européens à propos des Africains. Férocité, cruauté gratuite, lubricité …Tout ce qui est attribué aux émigrés n’est en réalité qu’une projection en miroir des tares de la vieille Europe. Entre un émigré clandestin en détresse, des jeunes fascistes blonds type skin head et des trafiquants de drogue espagnols, la famille perdue choisit toujours pour son malheur de s’adresser aux «siens» qui sont prêts à la massacrer après avoir violé la mère.
Le jeune homme noir par contre n’est que douceur, sagesse et générosité. C’est pourtant lui qui après avoir sauver la vie à la famille une première fois est jeté en pâture aux jeunes fascistes armés de battes de base-ball qui ont déjà massacré un jeune demeuré qui leur a volé leur moto. C’est en pleurant et en tremblant que la famille prend la fuite en laissant le jeune homme seul et nu face à une mort atroce. Le propos du film semble être de faire le procès du racisme sous toutes ses formes. Celui qui, familial, emprunte ses formes naïves et innocentes aux «Dupont-Lajoie» et l’autre, celui de l’idéologie des groupes extrémistes hautement organisés. L’exclusion des catégories fragiles y est également traitée. Les enfants que l’on gifle à tous les tournants, les femmes écrasées par la routine conjugale, les êtres un peu différents que l’on rejette...
Menée avec peu de subtilité, le film se rattrape par la beauté d’une nature magnifiée. Les gros plans du jeune homme noir courant sur les dunes de la plage opèrent une transfiguration du paysage et le temps d’un film transforme ce morceau d’Espagne en désert africain.
Un hymne pictural à l’éden naturel auquel succombe en premier la mère de famille qui à la suite du jeune Noir se jette à la mer en costume d’Eve. C’est à se demander si ce film qui dénonce les idées toutes faites et les préjugés raciaux ne les reconduit pas d’une certaine façon. Le mythe du bon sauvage ayant vécu, le film laisse un goût mitigé. Celui d’une farce tragique assez mal ficelée et non dépourvue d‘incohérences. Ce moyen métrage de Uribe a toutefois le mérite de susciter le débat d’idées ce qui ne peut-être que fécond. Aujourd’hui, les spectateurs pourront apprécier «Los Lunes Al Sol» de Fernando Leon De Aranoa et demain «Planta 4» de Antonio Mercero.