L’espace d’une soirée, les velours bleu et vert de la salle El-Mouggar ont été investis par quelques dizaines d’Algérois qui en ont fait un temple de la musique chaâbi.
Samedi, devant un public typiquement populaire et Algérois, reconnaissable à sa mise sobre et à son parler châtié, les chanteurs Abdelkrim Aouidet, Abdallah Guettaf et Abdelmadjid Meskoud ont chanté les beautés, les souffrances, les saints, les martyrs, les grands maîtres de musique, les artisans et les artistes de la blanche capitale.
L’espace d’une soirée, les velours bleu et vert de la salle El-Mouggar ont été investis par quelques dizaines d’Algérois qui en ont fait un temple de la musique chaâbi. Dans un silence fervent, ce public d’initiés a semblé boire plus qu’il n’écoutait le verbe précieux, quasi ésotérique, des célèbres textes qui ont imprégné toutes les villes portuaires du pays.
La semaine culturelle de la capitale, programmée du 9 au 17 janvier, se devait d’ouvrir ses espaces au genre musical emblématique de la vieille citadelle. Le chaâbi, né d’un mariage de la musique andalouse et de la poésie des plus vieux centres urbains du Maghreb, s’est régénéré au souffle profond du terroir et aux inspirations venues de la mer. Il constitue une des meilleures synthèses des différentes sources esthétiques caractéristiques de l’Afrique du Nord.
«Mamlouk bi hob sidna Khatem lersel/ Possédé par l’amour du sceau des prophètes», c’est par des medhs à la métrique majestueuse que le jeune chanteur Abdelkrim Aouidet a ouvert la soirée, entouré de musiciens chevronnés dont Khaled Sofiane, Brahim Agad, El Hadj Youcef de Blida, Chehba Rachid et Sofiane. Les instruments traditionnels ont soutenu la belle voix du ténor. Le trio indissociable derbouka, tar et tbiblate a puissamment rythmé les lignes mélodiques jouées à l’unisson par les banjos, violons alto et le désormais incontournable synthétiseur. S’accompagnant de l’emblématique mandole, le chanteur qui a lu ses textes sur un petit cahier d’écolier a chanté une de ses créations exaltant El-Bahdja. «Rabbi issounek ou yaâtik, jabou aâlik echaâr : El-Harrachi, Amar, El-Anka (…), Aâchra snine Houal ou nar, ma naqderch enrouh oua n’khalik... Que Dieu te protège et te rende prospère/Les poètes t’ont chantée : El-Harrachi, Amar, El-Anka/ Dix ans de fureur et de feu/ Pourtant je ne peux partir et te laisser…» Ce texte dédié à la ville de Sidi Abderrahmane Ethaâlibi a visiblement ému les spectateurs.
En seconde partie, Abdallah Guettaf, bien connu des amoureux du chaâbi, a déclamé des classiques, dont des chants religieux et des chants d’amour et d’éloge à l’ivresse. «Moussibet el-Gharam moussiba, la passion est une malédiction», «el-kess iaddi lezhou ou ikhaoui men baâd elmaâdia/la coupe remonte le moral et réconcilie les ennemis», «El-Aql, Ezzine oual Ess-sghar/la sagesse, la beauté et la jeunesse» a chanté Guettaf dans une ambiance qui montait en cadence. Abdelmadjid Meskoud a également captivé les spectateurs en revisitant de grands classiques avant d’entamer sa chanson El-Assima devenue célèbre en 1989. Cette chanson est un cri de cœur de l’artiste bouleversé par la destruction de sa maison natale du vieux quartier d’El-Hamma où il est né. Petit à petit, le texte s’est enrichi, devenant un hymne à l’antique cité ravagée par les dégradations multiples, la perte de ses vieux métiers et de son art de vivre. C’est par cette prestation remarquable que la soirée s’est achevée sous les you-you et les applaudissements nourris. Le public a été convié à la soirée d’aujourd’hui où des groupes de musique contemporaine se produiront, et à celle de demain où se produiront de nouveau des chanteurs du chaâbi. L’entrée à toutes les manifestations de la salle El-Mouggar, durant cette semaine culturelle d’Alger, est gratuite.