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"livre du souvenir" du poète Tunisien Tahar Bekri
La traversée intérieure
13 Septembre 2007

Dans «Le livre du souvenir» du poète tunisien Tahar Bekri, il est autant question d’espace physique que de panorama intime, un voyage au bout de son être.

Les carnets de voyage qu‘il vient d‘éditer confirment le lien perceptible de ces diverses activités. L‘enseignement et le voyage alimentent la réverbération qui trouve son aspect et son exaltation dans la poésie. La traversée des nombreux pays et des continents que raconte le journal de voyage est, à son tour, un enthousiasme lyrique que s‘empresse l‘auteur à dévoiler. Traditionnellement de nos voyages, on conserve tous des objets, des souvenirs, qui sont là dans les moments les plus noirs de la vie, pour nous faire revivre des émois, des confidences, des instants que nous avons, dans un temps achevé, vécus à mille lieues de là où nous sommes en réalité. Intitulé discrètement «Le Livre du souvenir», l‘ouvrage s‘étend sur une vingtaine d‘années. Dans ce carnet, il n‘est pas question de flash-back ou une sorte de roulé-boulé surréaliste qui permet de remonter le temps. Il est avant toute chose la partie essentielle d‘une rencontre. L‘effluve d‘une vaseuse émotion restée quelque part frétillante de vie. Le long des deux cents pages le lecteur vit avec l‘auteur en toute intimité ses journées, ses lectures, son chagrin du pays, son affliction de l‘exil. Il partage avec lui ses pensées sur l‘autre, l‘isolement forcé, l‘art, la lecture, des réactions sur des événements mondiaux, etc.
Le lecteur devient intime avec ce voyageur qui met son âme et des milliers de flammèches d‘émotions à tous les recoins des pages. Il y va de ses impressions en s‘adressant à nous en toute simplicité, voire en toute naïveté. Il raconte le combat livré par le descendant de Khalil Gibran pour créer aux Etats-Unis une fondation afin de glorifier la mémoire de l‘ancêtre, mais aussi de l‘obscurantisme qu‘engendre le terrorisme commis abjectement au nom du Divin «mais comment font-ils pour égorger un être humain, s‘interroge le poète. De quelle espèce sont-ils ? Quel pays est-ce ? Sont-ils vraiment des musulmans ? Marchent-ils sur deux pieds ? Ont-ils une tête, un cœur ?» Il y est également question de l‘été scandinave, du fleuve Niger qui «abrite des continents à la dérive», du magnifique ciel nocturne de Montréal où «les lumières sont comme des diamants»…
Tahar Bekri est né en 1951 à Gabès en Tunisie, il a également vécu à Tunis où il a fait ses études et milité pour la démocratie et la justice. Cela lui a valu deux séjours en prison. Contraint à l‘exil politique en 1976, il est venu s‘installer en France où il vit aujourd‘hui.
C‘est sans doute cette partie de sa vie qui a valu les plus les plus belles pages de ce livre. Car ici le poète se souvient de son retour au pays natal en 1989, après quatorze années d‘exil. La redécouverte des lieux, les retrouvailles avec la famille, les larmes, la joie, la confusion, la peur de ne pas savoir où mettre le pied… sont autant d‘images retracées avec l‘exactitude d‘un artiste réaliste, faisant entrevoir l‘encaissé en arrière plan de l‘essentiel tangible, le raisonnement derrière l‘action. Livre vivant, livre qui va en déplacement dans les espaces de la terre et dans le creux de soi, le livre se lit et se vit, d‘un seul trait, d‘un bout à l‘autre, sans marquer de temps d‘arrêt. Puisque dans le bonheur ou dans la douleur, on ne prend pas le temps d‘attendre un miracle, on vit simplement le moment. C‘est un peu ce qu‘offre l‘écriture à ses auteurs, un moment d‘extrême émotion, à un moment précis et sans s‘interrompre, advienne que pourra. «Je pense que la poésie, l‘écriture, la littérature en tout cas, provient, de manière générale, de cet aspect, de ce questionnement, parfois de la blessure ; on essaye de marcher sur sa propre braise…», laisse à penser Tahar Bekri.
En voguant sur les lignes de l‘ouvrage, on sent ce lyrisme nostalgique produit par la douleur de la séparation, précisément pour l‘amour du pays natal. Toutefois, la douleur de l‘exil n‘est pas le seul thème de son écriture. Tahar Bekri évoque également la liberté de l‘errance, la quête de la dissemblance, la nature en péril, l‘asservissement et l‘obscurantisme. La particularité de cette œuvre demeure autant dans sa diversité réflexive, que dans la condition très originale où loge son auteur, qui explique son appartenance et son attachement à la tradition poétique arabe et à la poésie occidentale moderne.
Une œuvre ralliant sans complexe l‘Orient et l‘Occident, par un lien aussi fragile que réceptif, la mer, une symbolique renouvelée dans la dimension poétique de Tahar Bekri
Sa poésie, accueillie par la critique, fait l‘objet de travaux universitaires, elle est traduite dans différentes langues (russe, anglais, italien, espagnol, turc, etc.). Son écriture se veut avant tout une ritournelle fraternelle, un continent bordé d‘un bouclier humain et sans frontières.
Tahar Bekri est considéré aujourd‘hui comme l‘une des voix importantes du Maghreb. Il est actuellement maître de conférences à l‘Université de Paris X-Nanterre.

Par : Samy Djaafar

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