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Avant-première du documentaire «Ath-yenni, Paroles d’argent» d’Arezki Metref
Le sceau de l’universalité
25 Juin 2007

Le village, entité isolée au milieu de nulle part, n’existe plus. Les Ath-yenni, tribu présentée par Ibn Khaldoun comme valeureuse, étaient des artisans armuriers, ils battaient la monnaie pour l’émir Abdel-Kader et confectionnaient de la fausse monnaie sous le règne ottoman.

ParEn invitant les spectateurs à partager une simple promenade dans son village d’origine, Arezki Metref, lui fait redécouvrir le village africain. Ce faisant, il frappe du sceau de l’universalité la carte d’identité des lieux ancestraux qu’il établit cette fois-ci avec l’aide, faussement naïve, d’une caméra. Dans une démarche qui semble calquée sur celle de son reportage «Kabylie Story», publié récemment par un confrère, le journaliste-écrivain, qui s’essaye pour la première fois à l’image cinématographique, révèle les liens complexes que ce petit morceau d’Algérie, haut perché, tisse depuis des millénaires avec l’ensemble de la planète. Du coup, l’enclavement tant décrié retrouve sa véritable définition, avant tout matérielle, fait de pauvreté et d’abandon et qui n’est nullement celui des esprits curieux, ouverts, brillants. Du particulier au général, du local au planétaire, le décor bucolique s’efface peu à peu pour nous rappeler que ces lieux habités depuis des millénaires constituent ce que Braudel, ce spécialiste de la méditerrannée, appelle civilisation agraire et urbanité montagnarde. Le village, entité isolée au milieu de nulle part, n’existe plus. Les Ath-yenni, tribu présentée par Ibn Khaldoun comme valeureuse, étaient des artisans armuriers, ils battaient la monnaie pour l’émir Abdel-Kader et confectionnaient de la fausse monnaie sous le règne ottoman. Quand les autorités coloniales leur interdisent de fabriquer des armes, ils se convertissent en orfèvres de talent. Côté Afrique, tout y est : la somptuosité de la nature, la pauvreté des habitations.
La vétusté des lieux de spiritualité traditionnelle n’empêche pas la vie de continuer à les irriguer. A travers les sinuosités d’une architecture millénaire, le spectateur rencontre des habitants de tous les âges. De succulents petits vieux au parler dru content l’histoire des tribus du village, s’interrogent sur l’origine des noms et se souviennent des disparus. Ainsi, on s’interroge sur Mimoun ce personnage qui a donné son nom au village Taourirt-Mimoun. L’origine hébraïque du patronyme Mimoun (le chanceux, le béni) que l’on retrouve dans toutes les contrées du sud du Maghreb à travers Timimoun, Lalla Mimouna, etc., semble complètement ignorée. Pourtant, selon les historiens, à travers le temps, des milliers de familles de confession juive se sont réfugiées en Kabylie fuyant les persécutions diverses.
Elles se sont complètement fondues dans le décor. Le cas beaucoup plus récent du jeune homme dont la famille originaire de M’Sila s’est installée à Ath-Yenni est plus que parlant. A l’écran, dans un kabyle parfait, le jeune homme exprime sa satisfaction de vivre dans cette région du pays sans s’être jamais senti étranger. Combien de ces apports de populations déplacées ont eu lieu à travers les millénaires pour arriver à une population mosaïque ? semble s’interroger l’auteur.
Mouloud Mammeri, le fils de l’endroit qui a consacré une recherche sur l’Ahellil du Gourara n’en ignorait rien, lui qui a privilégié une approche complexe du phénomène linguistique loin de toute idéologie réductrice. La danse sacrée des gouraris occupe la caméra un bon moment et, bousculant le spectateur, elle fait ressurgir à travers les rythmes, les bijoux en argent, le jdib, l’unité profonde de l’Afrique amazighe.
A la zaouïa des Ath-lahcène où est enterré le chanteur Brahim Izri, Tahyaun authentique derwiche chante avec une technique vocale apparemment innée qui défierait le plus futé des musicologues. Tout dans cette voix, la tessiture, le timbre et la liberté d’interprétation rappelle la filiation d’autres voix magiques : celle d’El-Anka, de Matoub et de Brahim Izri, d’Idir et du vieux chanteur Slimani qui, face à la caméra, explique que ceux de sa génération ont cassé un tabou de taille.
Surfant sur trois langues, le film, l’air de rien, continue son voyage à travers les générations. L’horizon obstrué des jeunes semble les éloigner peu à peu de la sobriété des aînés.
Les grands événements politiques semblent volontairement effleurés au bénéfice d’une approche complexe et d’une justesse de ton recherchée tout au long du film.
"Ath-Yenni, paroles d’argent" offre des moments de forte intensité malgré la fragilité inévitable d’une première œuvre.

Par : Joumana Yassine

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