Le Midi Libre - Supplément Économie - Interdiction totale des cryptomonnaies et surveillance accrue sur les réseaux sociaux pour traquer les flux suspects
Logo midi libre
Edition du 24 Novembre 2025



Le Mi-Dit

Caricature Sidou


Archives Archives

Contactez-nous Contacts




Banque d’Algérie
Interdiction totale des cryptomonnaies et surveillance accrue sur les réseaux sociaux pour traquer les flux suspects
24 Novembre 2025

Dans un contexte où les cryptomonnaies continuent de séduire les investisseurs mondiaux malgré leur volatilité légendaire, la Banque d’Algérie (BA) franchit une nouvelle étape dans sa croisade contre les actifs virtuels. Une directive stricte, publiée le 12 novembre dernier, impose aux banques commerciales et à Algérie Poste une vigilance accrue, incluant, désormais, des enquêtes approfondies sur les réseaux sociaux pour détecter toute transaction liée aux "cryptos".

Ce texte, que le Midi Libre a pu consulter, n’est pas une simple mise à jour réglementaire : il s’agit d’un arsenal complet pour éradiquer les risques, du blanchiment d’argent au financement du terrorisme, en protégeant un système financier algérien encore en phase de numérisation prudente.

Un bannissement absolu, ancré dans un arsenal
législatif solide
La directive n° 06/2025, signée par le président de la Commission bancaire de la BA, ne laisse aucune ambiguïté : tout lien ou opération suspectée d’être connectée aux actifs virtuels est prohibé de manière absolue. "Les cryptomonnaies ne sont pas des monnaies au sens classique : elles ne bénéficient d’aucune garantie étatique, ne reposent ni sur l’or ni sur des devises stables, et permettent des transferts instantanés sans intermédiaires", explique le document. Si cette fluidité attire les exclus du système bancaire traditionnel – particulièrement en Algérie, où 40% de la population restent non bancarisées selon une étude de la Banque mondiale de 2024 –, elle offre aussi un boulevard aux acteurs malveillants : escrocs, blanchisseurs et terroristes.
Cette mesure s’appuie sur un socle juridique robuste. Elle invoque la Loi de finances 2018, la loi n° 05-01 du 6 février 2005 (modifiée) sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (notamment les articles 6 bis et 31 bis), le décret exécutif n° 23-428 du 29 novembre 2023 sur le gel des avoirs, et le régime n° 24-03 du 24 juillet 2024, étendu à la prévention du financement de la prolifération d’armes de destruction massive. "L’Algérie n’est pas seule dans ce combat : des pays comme la Chine ou l’Inde ont opté pour des interdictions totales, tandis que l’Europe vacille entre régulation et prudence", note un expert en finance islamique interrogé par les médias. Mais à Alger, l’approche est intransigeante : pas de demi-mesure pour éviter que les cryptos ne deviennent un vecteur de déstabilisation économique.
Les établissements financiers – banques et Algérie Poste, regroupés sous le terme "établissements assujettis" – sont sommés d’adopter une "approche basée sur les risques". Cela passe par une surveillance continue des transactions, une formation obligatoire des employés et un signalement immédiat à la Cellule de traitement des renseignements financiers (CTRF). Malgré l’interdiction légale en vigueur depuis 2018, des contournements persistent : des Algériens utilisent des plateformes étrangères comme Binance ou Coinbase, en alimentant leurs comptes via des virements bancaires locaux. La directive cible précisément ces fuites, en protégeant les systèmes de paiement électronique contre les abus.

14 indicateurs pour
démasquer les ombres numériques
Au cœur de ce dispositif : une liste de 14 signaux d’alerte, minutieusement détaillée pour guider les enquêteurs internes. Sept d’entre eux concernent des opérations hautement suspectes, nécessitant une analyse immédiate et un rapport urgent : virements vers des sites d’échange crypto, utilisation de "mixers" (outils de mélange de fonds pour anonymiser les traces), ou portefeuilles anonymes. Quatre patterns de transactions sont scrutés de près – comme des transferts fractionnés répétés (le "smurfing" numérique), des schémas Ponzi déguisés, ou des flux soudains depuis des comptes inactifs. Enfin, trois indicateurs portent sur le profil client : des mouvements incohérents avec les revenus déclarés, des dépôts cash suivis de virements multiples, ou des échanges illogiques entre clients sans lien apparent.
L’innovation majeure ? L’extension des investigations aux réseaux sociaux. "Quand une transaction sensible émerge, les banques doivent creuser en ligne : Facebook, Instagram, Twitter... pour identifier les liens avec des groupes crypto ou des influenceurs promoteurs", stipule la directive. Des mots-clés comme "Bitcoin", "crypto" ou "NFT" seront intégrés aux algorithmes de surveillance. "C’est une réponse aux réalités d’aujourd’hui : les fraudes se propagent sur TikTok autant que sur les blockchains", commente Dr. Ahmed Belkacem, économiste à l’Université d’Alger. Des adresses IP changeantes, des connexions au dark web ou des tentatives de transactions déjà bloquées automatiquement déclenchent des alertes rouges.

Des obligations concrètes pour les banques : de l’identification à la
sensibilisation
Les établissements assujettis n’échappent pas à un programme d’action draconien. L’identification des clients est renforcée : connaissance approfondie de l’identité, du bénéficiaire effectif, de l’activité et de l’origine des fonds, avec des mises à jour périodiques. Toute suspicion de lien crypto ? Refus immédiat de la relation. La surveillance transactionnelle impose des outils automatisés pour bloquer les flux vers des plateformes connues, comme les casinos en ligne basés sur les cryptos. Côté gouvernance interne, des politiques écrites, des audits réguliers et une formation continue sont de mise. "Les employés doivent être formés à repérer non seulement les chiffres, mais les comportements : un client qui poste des stories sur ses ’gains en Ethereum’ est un drapeau rouge", illustre un cadre bancaire sous anonymat. Parallèlement, une campagne de sensibilisation s’adresse aux clients : notes internes, bulletins et alertes pour dissuader l’usage des comptes bancaires dans des opérations crypto. "Votre argent est en sécurité avec nous, pas sur une blockchain volatile", pourrait-on lire dans les futures communications.
Les sanctions pour non-conformité sont dissuasives : amendes, suspensions ou poursuites pénales, alignées sur le cadre légal existant. "C’est un message clair : la BA ne tolérera plus les failles", assène un analyste du secteur.

Implications pour
l’économie algérienne : protection ou frein
à l’innovation ?
Cette offensive arrive à un moment charnière pour l’Algérie, qui accélère sa transition numérique via le plan "Algérie Numérique 2030". Les cryptos, avec leur promesse de transferts rapides pour les expatriés (les hawala modernes), pourraient combler des lacunes – mais à quel prix ? "Le blanchiment via crypto a augmenté de 30% en Afrique du Nord en 2024, selon l’Onu", alerte un rapport récent. En interdisant tout, Alger protège ses réserves de change et sa souveraineté monétaire, mais risque de pousser les jeunes entrepreneurs vers des circuits parallèles. Des voix critiques émergent : "Cette surveillance des réseaux sociaux frôle la vie privée ; une régulation intelligente, comme au Maroc avec son cadre pour les stablecoins, serait plus adaptée", plaide une association de fintechs locales. La BA, elle, y voit une "protection collective" : en 2023, des saisies de 500 millions de dinars liées à des scams crypto ont été rapportées par la police judiciaire.

Vers un avenir sécurisé, mais challengé
Avec cette directive, l’Algérie se forge un bouclier anti-crypto, aligné sur les standards du Gafi (Groupe d’action financière). Elle pourrait inspirer ses voisins maghrébins, encore timides face à la blockchain. Mais le vrai test sera l’équilibre : comment numériser sans exposer ? Pour l’heure, les banques s’activent et les usagers sont invités à la prudence. Dans un pays où le dinar reste roi, les bitcoins attendront leur heure ou pas.


L'édition du jour
en PDF
Le Journal en PDF
Archives PDF

El Djadel en PDF
El-Djadel en PDF

Copyright © 2007 Midilibre. All rights reserved.Archives
Conception et réalisation Alstel