Au cœur du Sahara algérien, où les dunes ocre se fondent dans un ciel azur infini, la ville oasis de Timimoun s’est muée en épicentre d’une renaissance artistique. Ce jeudi, la ministre de la Culture et des Arts, Malika Bendouda, a inauguré un centre cinématographique flambant neuf dans le district de Tinerkouk, marquant un jalon décisif dans la politique culturelle nationale. Cette initiative, couplée au lancement de la première édition du Festival international du court-métrage, n’est pas un simple événement : c’est une déclaration d’intention. "La création de villes cinématographiques dans le sud du pays traduit concrètement notre volonté de démocratiser la création, de briser la centralisation culturelle et de rendre les arts accessibles à tous les Algériens", a affirmé Bendouda lors de son discours inaugural, devant une assistance composée de cinéastes, d’artistes locaux et d’invités internationaux.
Cette visite de travail, qui s’étend sur plusieurs jours, symbolise l’engagement du gouvernement algérien à transformer les régions sahariennes en hubs créatifs. Timimoun, avec ses ksours millénaires et ses palmeraies verdoyantes, offre un décor naturel incomparable, propice aux tournages et à l’inspiration. Le nouveau centre, géré par le Centre algérien du cinéma, est déjà opérationnel pour des productions audiovisuelles. "C’est un espace prêt à l’emploi, qui positionne notre wilaya comme une terre cinématographique par excellence", a ajouté la ministre, évoquant les vastes plateaux désertiques à proximité, idéaux pour des westerns modernes ou des épopées épiques.
Une inauguration multifacette : Infrastructures et dynamisme local
La journée a été riche en symboles. Bendouda a d’abord présidé à l’ouverture du siège de la Direction de la Culture et des Arts de la wilaya de Timimoun, un bâtiment moderne aux lignes épurées qui intègre des salles de formation et des ateliers numériques. Elle a ensuite inspecté les avancées du projet de Centre culturel régional, un complexe ambitieux qui inclura une bibliothèque multimédia et des espaces d’exposition. Le clou de la visite : la remise officielle d’une salle de cinéma à la direction locale. Cette infrastructure, équipée de projecteurs 4K et d’un système sonore immersif, servira de cadre principal aux projections du festival. "Ces outils ne sont pas des luxes, mais des droits fondamentaux pour une jeunesse avide d’expression", a insisté la ministre, rappelant que 70% de la population de la wilaya a moins de 30 ans.
Ces inaugurations s’inscrivent dans un plan plus large de décentralisation culturelle, initié sous le mandat de Bendouda. Nommée en septembre 2025, cette enseignante-chercheuse originaire d’Oran, docteure en philosophie des sciences sociales de l’Université d’Oran, apporte une vision académique et engagée au ministère. Formée à l’intersection de la littérature française et des études postcoloniales, elle a rapidement marqué les esprits par sa priorité à la levée du gel des projets culturels, comme annoncé lors de sa prise de fonctions. À Tébessa, elle avait déjà plaidé pour un financement accéléré des initiatives locales ; à Timimoun, elle passe à l’action concrète, en investissant dans des infrastructures qui pourraient générer des centaines d’emplois directs et indirects.
Le Festival international du court-métrage : une vitrine mondiale au désert
Ce soir, sous les étoiles du Gourara, s’ouvre la première édition du Festival international du court-métrage de Timimoun, un événement qui réunit 62 films issus de 31 pays, sélectionnés parmi plus de 500 candidatures. Du 13 au 18 novembre, la petite ville de 50 000 âmes vibre au rythme de projections en plein air, d’ateliers de scénario et de tables rondes thématiques. Le jury international, présidé par un cinéaste marocain renommé, distinguera des œuvres dans des catégories comme "Meilleur court africain" ou "Innovation narrative". Parmi les temps forts : une rétrospective des courts-métrages algériens des années 70, et une masterclass sur le financement indépendant animée par une réalisatrice sénégalaise.
Bendouda a salué ce festival comme "une plateforme pour les talents émergents, alignée sur notre stratégie nationale qui place la jeunesse au cœur du projet culturel". En effet, une section dédiée aux clubs de cinéma algériens lancera un prix spécial pour encourager les amateurs. Les invités, venus d’Europe, d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient, visiteront les sites de production potentiels, comme les dunes de Tinerkouk, à 60 km au nord, où une première "ville cinématographique" est en projet depuis 2022. Ce complexe intégré – studios, logements pour équipes, laboratoires de post-production – vise à attirer des tournages hollywoodiens, à l’image de "Dune" tourné en partie au Maroc voisin.
Le festival n’oublie pas les racines locales. Des projections gratuites dans les ksours attireront les nomades touaregs, et un atelier sur "Le cinéma et l’identité saharienne" explorera comment le 7e art peut narrer les histoires du désert, souvent marginalisées. "Un film court n’est pas un petit film", a plaidé un professionnel africain lors d’une table ronde récente, soulignant les défis du format face aux blockbusters. Avec des partenaires comme Canal Algérie, qui diffuse une émission spéciale, l’événement rayonne déjà au-delà des frontières.
Racines historiques : Du cinéma de libération à l’ère décoloniale
Pour comprendre l’ampleur de cette initiative, il faut remonter aux origines du cinéma algérien, indissociable de la lutte anticoloniale. Né dans les maquis de la guerre de libération (1954-1962), le 7e art algérien émerge avec des films militants produits par le FLN, comme "L’Algérie en flammes" (1958), un montage d’images volées à l’occupant français. À l’indépendance, en 1962, le jeune État crée un Comité de cinéma rattaché au GPRA, puis un Service du cinéma, pour forger une identité nationale.
Le décret du 8 juin 1964 institue le Centre national du cinéma (CNC), chargé de gérer l’industrie naissante : production, distribution, salles. Des pionniers comme Mohammed Lakhdar-Hamina, avec "Chronique des années de braise" (Palme d’or à Cannes en 1975), posent les bases d’un cinéma politique, explorant la Révolution et ses traumas. Mais les années 80 marquent un déclin : censure, sous-financement, et "décennie noire" des années 90, où le cinéma devient un exil intérieur, avec des films comme "Rachida" de Yamina Bachir-Chouikh (1998), premier long-métrage réalisé par une femme algérienne.
Aujourd’hui, sous Bendouda, le cinéma est "condamné à être politique", comme l’affirmait un critique en 2021, mais dans un sens positif : outil de mémoire et de développement. La loi de 2020 sur le cinéma renforce les quotas de production locale, et le Fonds national de soutien à la production audiovisuelle injecte des millions de dinars. Le sud, longtemps négligé, émerge comme un eldorado : paysages variés, coûts bas, et une main-d’œuvre locale formée via des écoles comme celle de Ghardaïa.
Le Sud, nouveau pôle : villes cinématographiques et
économie créative
Le projet de ville cinématographique à Tinerkouk n’est pas un caprice. Annoncé en 2022, il prévoit des studios couverts, des décors modulables et un hôtel pour équipes, pour un investissement de plusieurs milliards de dinars. "Timimoun devient un pôle national du cinéma", confirme Bendouda, citant les atouts : lumière naturelle exceptionnelle, silence absolu pour les enregistrements, et authenticité culturelle. Des films comme "Les Papillons de Timgad" (prévu pour 2026) y tourneront déjà.
Économiquement, c’est un levier. L’industrie créative pourrait générer 10 000 emplois d’ici 2030, selon des estimations du ministère, en boostant le tourisme culturel. Socialement, cela empowere les femmes et la jeunesse saharienne : ateliers gratuits formeront 500 apprentis par an. Bendouda, sensible aux partenariats panafricains, évoque des collaborations avec le Sénégal : "La réalisatrice Hadjer Sebata appelle à un axe Algérie-Sénégal pour co-produire des films sur l’Afrique unie", dit-elle, citant une rencontre récente.
Des défis persistent : contrefaçon des copies, manque de distributeurs internationaux, et formation technique. Mais avec le Centre algérien de développement du cinéma, lancé en 2025, une cité intégrée émerge à Alger, complétant l’offre sudiste. "Le cinéma algérien est une expérience originale", notait Le Monde diplomatique en 1965 ; aujourd’hui, il s’invente un avenir décolonisé, du Nord au Sud.
Perspectives : une Algérie plurielle, un cinéma universel
À l’horizon, d’autres festivals jalonnent le calendrier : le FIFF à Oran, clôturé par Bendouda en novembre, ou un nouveau à Tamanrasset. La ministre vise 100 films produits annuellement d’ici 2027, avec un focus sur les courts-métrages comme incubateurs de talents. "La culture est un moteur de développement durable", martèle-t-elle, reliant art et écologie : des films sur le changement climatique au Sahara sensibiliseront les générations futures.
Rencontrée par des médias locaux, une jeune réalisatrice timimounienne, Amina Ould Kaci, 24 ans, exprime son enthousiasme : "Ce centre change tout. Avant, on rêvait d’Alger ; maintenant, le désert est notre Hollywood." Un producteur français, invité au festival, ajoute : "L’Algérie du Sud offre une authenticité que l’Europe envie. C’est l’avenir du cinéma immersif."
En somme, Timimoun n’est pas qu’une oasis : c’est un mirage devenu réalité, où la ministre Bendouda trace les contours d’une Algérie culturelle décentralisée, inclusive et rayonnante. Dans ce festival naissant, 31 nations dialoguent, et le Sahara murmure des histoires universelles. L’aventure ne fait que commencer, et le 7e art algérien, jadis outil de libération, devient vecteur de prospérité partagée.