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Edition du 16 Octobre 2025



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Renaissance d’un Joyau Ottoman
La Mosquée Djamâa Es-Safir rouvre ses portes dans La Casbah d’Alger
16 Octobre 2025

Au cœur du labyrinthe millénaire de La Casbah d’Alger, ce quartier labyrinthique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992, un édifice emblématique reprend vie. La mosquée Djamâa Es-Safir, chef-d’œuvre architectural datant de 1534, a été officiellement rouverte aux fidèles par la Direction des affaires religieuses et des wakfs de la wilaya d’Alger. Cette renaissance, fruit d’une restauration minutieuse menée par les services de la wilaya, marque une étape décisive dans la sauvegarde du patrimoine national. Kamel Belassel, directeur des Affaires religieuses et des Wakfs de la wilaya d’Alger, a annoncé cette bonne nouvelle lors d’une déclaration à l’Agence de presse algérienne (APS), soulignant l’achèvement des travaux dans le cadre du vaste projet de réhabilitation de La Casbah.






Située dans le quartier historique Amar-Ali, bordant la rue des frères Bachara, la mosquée Djamâa Es-Safir n’est pas seulement un lieu de culte ; elle est un témoin vivant de l’histoire algéroise. Édifiée en 1534 sous l’ère ottomane, cette mosquée de style mauresque-ottoman porte le nom d’un esclave converti à l’islam, Safar bin Abdullah, dont le prénom a évolué en "Safir" au fil des siècles. Fondée en Rajab 940 de l’Hégire sur des terrains annexés à la ville après la construction d’un nouveau rempart d’extension, elle symbolise l’expansion urbaine d’une Alger en pleine effervescence sous la régence ottomane. Classée dès 1905 comme patrimoine national par les autorités coloniales françaises, elle intègre aujourd’hui le circuit touristique de La Casbah, offrant aux visiteurs un voyage temporel guidé par des conférenciers passionnés qui narrent son histoire foisonnante.
L’architecture de Djamâa Es-Safir est un hymne à l’élégance ottomane fusionnée aux influences andalouses. Sa façade ornée de zellidjs aux motifs géométriques complexes et de calligraphies arabes ciselées invite à la contemplation. À l’intérieur, la salle de prière, vaste et aérée, est illuminée par des lanternes en fer forgé qui diffusent une lumière tamisée, évoquant les nuits de prière sous les étoiles d’Alger. Le minaret élancé, culminant à une hauteur modeste mais imposante, domine le dédale des ruelles étroites, servant de repère visuel pour les habitants et les pèlerins. Le mihrab, orné de marbre sculpté, et les arcs en plein cintre soutiennent une coupole centrale qui amplifie l’acoustique, rendant chaque récitation coranique un écho éternel. Ces éléments, préservés avec un soin maniaque lors des récentes restaurations, rappellent les techniques artisanales transmises de génération en génération, où le plâtre ciselé rencontre la céramique émaillée dans une symphonie de bleus et de verts méditerranéens.
Au-delà de sa beauté esthétique, Djamâa Es-Safir a joué un rôle pivotal dans l’histoire tumultueuse de l’Algérie. Comme l’a rappelé M. Belassel, cette mosquée, à l’instar de ses sœurs casbahiennes, fut un bastion indéfectible durant la Révolution de libération nationale (1954-1962). Elle servit de refuge spirituel et stratégique pour les moudjahidine, ces combattants de la foi et de la patrie, qui y tramaient des plans de résistance sous le couvert des prières collectives. Lieu de mobilisation patriotique, elle préserva l’islam authentique contre les assauts de la colonisation, tout en rayonnant comme un centre culturel et civilisationnel au sein de la ville blanche. Des figures emblématiques de la lutte anticoloniale y trouvèrent inspiration et soutien, transformant ses murs en pages vivantes de l’épopée nationale. Après l’indépendance, reconquise dans le sang et les larmes en 1962, la mosquée poursuivit sa mission : accueillir les fidèles pour les offices, distribuer l’aumône aux démunis et incarner l’identité arabo-musulmane d’une nation renaissante.
L’histoire de ses restaurations est elle-même un récit d’endurance. La plus emblématique remonte à 1826, ordonnée par le Dey Hussein, qui fit appel à des maîtres artisans pour rebâtir l’édifice après des dommages causés par le temps et les intempéries. Cette intervention, survenue en pleine période précoloniale, sauva la mosquée d’un oubli certain et lui redonna son éclat originel. Par la suite, sous la domination française, elle subit les outrages de la négligence, avant que l’Algérie indépendante ne prenne le relais. Dans les années post-indépendance, elle continua d’être un phare caritatif, organisant des distributions alimentaires et des cours coraniques pour les enfants du quartier. C’est dans ce contexte que la wilaya d’Alger, mandatée par le ministère de la Culture et des Arts, lança en 2010 le grand projet de réhabilitation de la Casbah. Ce programme ambitieux, financé par l’État et soutenu par des partenariats internationaux, vise à restaurer une quarantaine de monuments, dont une dizaine de mosquées. Les travaux sur Djamâa Es-Safir, entamés en 2020, ont impliqué des équipes multidisciplinaires : architectes, archéologues, et artisans spécialisés en techniques traditionnelles. Ils ont permis de consolider les fondations fragilisées par l’érosion marine, de remplacer les tuiles fissurées du toit, et de restaurer les fresques murales effacées par les ans. Coût total : environ 50 millions de dinars algériens, un investissement qui paie déjà en termes de préservation culturelle. Cette réouverture n’est pas un événement isolé, mais le chaînon d’une chaîne de sauvegardes. La direction des Affaires religieuses et des Wakfs de la wilaya d’Alger a déjà réceptionné plusieurs autres perles patrimoniales dans le cadre du même projet. Parmi elles, la mosquée El Berrani, avec ses arcs ogivaux rappelant l’héritage fatimide, et la célèbre mosquée Ketchaoua, joyau néo-mauresque perché sur les flancs de la colline, restaurée en 2016 après des décennies de profanation coloniale. Ces édifices, gérés aujourd’hui par la direction, vibrent à nouveau d’une vie spirituelle intense : prières quotidiennes, conférences sur l’histoire islamique, et ateliers pour jeunes imams. La mosquée Djamâa Es-Safir s’inscrit parfaitement dans cette dynamique, enrichissant le circuit touristique de la Casbah. Les visiteurs, qu’ils soient Algériens de la diaspora ou globe-trotters curieux, peuvent désormais arpenter ses lieux guidés par des conférenciers formés, qui dépeignent non seulement l’architecture mais aussi les anecdotes légendaires : comment Safir, l’esclave affranchi, devint un pilier de la communauté ; ou les nuits où les moudjahidine y psalmodiaient des versets pour galvaniser les cœurs.
Prospectivement, l’horizon s’annonce radieux pour ce patrimoine en sursis. M. Belassel a annoncé que deux autres mosquées historiques de la Casbah seront réceptionnées sous peu, une fois leurs travaux achevés. Il s’agit de la mosquée Sidi Abderrahmane, nichée dans les entrailles du quartier, et de la mosquée des Pêcheurs, aux abords du port. Ces restaurations, alignées sur les objectifs de développement durable de l’Unesco intègrent des mesures éco-responsables : isolation thermique pour contrer l’humidité atlantique, et éclairage LED pour préserver l’énergie. La Casbah, menacée par l’urbanisation galopante et le réchauffement climatique, bénéficie ainsi d’un bouclier moderne tout en conservant son âme authentique. Ce projet n’est pas qu’une œuvre de briques et de mortier ; c’est un acte de mémoire collective, un pont entre passé glorieux et avenir serein.
Dans un Alger cosmopolite où les minarets percent un ciel azuréen, la réouverture de Djamâa Es-Safir résonne comme un appel à la vigilance patrimoniale. Elle invite les fidèles à renouer avec leurs racines, les touristes à s’immerger dans un océan d’histoires et les autorités à persévérer dans cette croisade pour l’héritage. Car, comme l’enseignait Ibn Khaldoun, grand penseur maghrébin né non loin de ces lieux, les civilisations se mesurent à leur capacité à honorer leurs monuments. Aujourd’hui, l’Algérie honore les siens, avec fierté et détermination.


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