Le Mawlid Nabawi Sharif, également connu sous le nom de Mouloud en dialecte algérien, est une célébration majeure dans le calendrier islamique algérien. Cette fête commémore la naissance du Prophète Muhammad (que la paix et le salut soient sur lui), survenue le 12 du mois de Rabia al-Awwal selon le calendrier hégirien.
En Algérie, elle est reconnue comme un jour férié officiel, inscrit dans la loi n° 63/278 du 26 juillet 1963, et représente un moment de joie, de spiritualité et de rassemblement familial. Chaque année, la date varie en raison du calendrier lunaire, avançant d’environ onze jours par rapport au calendrier grégorien. Par exemple, en 2024, elle a été célébrée le 16 septembre, et en 2025, elle est prévue pour le 5 septembre. Cette commémoration n’est pas seulement religieuse ; elle est profondément ancrée dans la culture algérienne, mêlant traditions ancestrales, rituels spirituels et festivités populaires.
Contexte Historique
Les origines du Mawlid remontent au Xe siècle en Égypte, où il a été célébré pour la première fois en 972 après J.-C. Cette pratique s’est ensuite propagée au Maghreb, influençant l’Algérie dès le XVIe siècle, particulièrement dans le sud du pays. En Algérie, influencée par les traditions sunnites, le Mawlid est accepté par la majorité des oulémas comme une "bonne coutume" (sunna), bien qu’une minorité la considère comme une innovation non canonique. Historiquement, c’était l’occasion de célébrer la naissance du Prophète avec des processions, des récitations et des actes de charité. Au fil des siècles, elle s’est enrichie de coutumes locales, intégrant des éléments folkloriques et culinaires propres à chaque région. Aujourd’hui, elle symbolise l’amour porté au Prophète et renforce l’identité culturelle algérienne, tout en perpétuant des pratiques comme la visite des cimetières pour prier pour les défunts.
Les Célébrations Spirituelles
Au cœur du Mawlid se trouvent les aspects spirituels, qui unissent la communauté musulmane algérienne. Les mosquées et les zaouïas (lieux de culte soufis) deviennent des centres d’activité intense. Les fidèles s’y réunissent pour réciter des versets du Coran, des prières collectives (dua), des chants panégyriques (madihs) en l’honneur du Prophète, et des poèmes religieux. Des sermons sont prononcés par les imams, rappelant la vie et les vertus du Prophète, et des concours de récitation du Coran sont organisés pour les jeunes, récompensant les meilleurs récitants. Dans certaines régions comme Tlemcen, les veillées nocturnes dans les mosquées se prolongent jusqu’à l’aube, avec des chants religieux interprétés par des enfants en habits traditionnels. Le Mawlid est aussi l’occasion de blanchir à la chaux les mausolées des saints patrons et de rendre visite aux marabouts, renforçant le lien avec la spiritualité soufie prédominante en Algérie.
Une tradition notable est le "Sboû du Mawlid" dans le Sahara algérien, une cérémonie religieuse de sept jours impliquant un pèlerinage aux mausolées des marabouts dans des régions comme Timimoun, Adrar et les ksours. Cette pratique, remontant au XVIIe siècle avec Sidi El Hadj Belkacem, est classée au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO. Elle inclut des sessions de dhikr (invocation de Dieu) accompagnées de tambours et de darbouka, où les participants lèvent les mains en prière collective.
Les Traditions Familiales et Festives
Le Mawlid est avant tout une fête familiale qui renforce les liens communautaires. Le soir de la célébration, les maisons s’illuminent de bougies placées aux fenêtres, symbolisant la lumière apportée par le Prophète. Les enfants jouent dans les rues avec des pétards et des feux d’artifice, créant une atmosphère joyeuse et animée. De nombreuses familles choisissent ce jour béni pour des événements importants : la circoncision des garçons (khitan), souvent accompagnée de cérémonies au henné, d’encens et de chants. Les enfants circoncis portent des vêtements traditionnels et sont honorés lors de processions familiales.
Les échanges de vœux sont omniprésents : en personne, par messages, images ou vidéos, les Algériens se souhaitent "Mouloud moubarek" (Joyeux Mawlid). Dans les quartiers populaires, les filles chantent sur les terrasses, et les familles se réunissent pour des thés ou des dîners. Une tendance moderne à Alger inclut des soirées organisées dans les maisons de la Casbah avec musique andalouse ou chaâbi, ou des menus spéciaux dans des restaurants. Les agences de voyage proposent des excursions vers le sud pour assister aux festivités, comme le "Fezaâ" à Béchar, animé par des groupes folkloriques "Shab el baroud".
Le Mawlid promeut aussi la solidarité : des associations organisent des campagnes de bienfaisance, comme des circoncisions collectives, des distributions de repas ou de vêtements, particulièrement en période de rentrée scolaire. Historiquement, c’était l’occasion d’honorer les enfants ayant mémorisé 60 versets du Coran, et de nommer les nouveau-nés "Mouloud" si c’est un garçon.
Les Aspects Culinaires : Une Richesse Régionale
La gastronomie occupe une place centrale lors du Mawlid, avec des plats qui varient selon les régions, reflétant la diversité culturelle des 58 wilayas d’Algérie. Le lendemain matin, la tradition veut que l’on déguste la "tamina", un entremets pâteux à base de semoule torréfiée, de miel et parfois de beurre, souvent préparé après un accouchement mais adapté pour la fête. D’autres douceurs comme le "mchouk", le "sellou" ou le "ghoriba" accompagnent les repas.
Les plats principaux sont festifs et copieux :
• À Alger : La "rechta" (nouilles fines en sauce blanche avec poulet) ou le couscous.
• À l’Est (Constantine, Annaba) : La "chakhchouka" (pâte de semoule en sauce rouge avec viande) ou la "trida" (pâtes carrées en sauce blanche).
• À l’Ouest (Oran) : Le "berkoukes" (grosses pâtes en sauce rouge avec viande).
• Au Sud (Sahara) : Le couscous avec viande de dromadaire, symbole de l’hospitalité sahraouie.
Le couscous, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, est omniprésent, bien que les hausses de prix des ingrédients comme le poulet avant la fête impactent les familles.
Les repas sont partagés en famille, renforçant les liens, et parfois offerts aux visiteurs dans un esprit d’ouverture.
Variations Régionales et Aspects Culturels
Les célébrations varient grandement d’une région à l’autre, illustrant la mosaïque culturelle algérienne. Dans l’Est, les festivités sont intenses avec des plats comme la chakhchouka. À Béchar, le "Fezaâ" attire les touristes avec des spectacles folkloriques et des groupes "Shab el baroud".
À Adrar, le "Sboû" inclut des chants et danses classés à l’UNESCO, avec une hospitalité légendaire où les maisons s’ouvrent aux invités.
Les vêtements traditionnels sont à l’honneur : les filles portent le karakou, la chedda ou le mensoudj, tandis que les garçons arborent le seroual medaouer, la chechia et les balgha.
Les familles posent pour des photos, préservant ces coutumes, surtout dans les quartiers populaires où des vêtements abordables sont vendus.
La musique joue un rôle clé : andalouse à Alger, chaâbi dans les dîners, ou folklorique au Sud.
Des émissions spéciales à la télévision, comme celles de Canal Algérie, diffusent des programmes dédiés. Le Mawlid Nabawi Sharif en Algérie transcende la simple commémoration religieuse pour devenir un pilier de l’identité nationale. Entre spiritualité profonde, traditions familiales chaleureuses et richesses culinaires régionales, cette fête unit les Algériens autour de valeurs de partage, de solidarité et d’amour pour le Prophète. Dans un monde en évolution, elle préserve un patrimoine vivant, adapté aux tendances modernes comme les voyages organisés ou les échanges numériques, tout en rappelant l’importance de la foi et de la communauté.
Que ce soit dans les rues animées d’Alger ou les ksours du Sahara, le Mawlid reste un moment de lumière et de joie intemporelle