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Edition du 23 Juin 2025



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L’or liquide de l’Algérie : une ode aux oléiculteurs d’Oliomed
23 Juin 2025

Sous un ciel d’azur, Alger s’éveillait ce samedi 21 juin 2025 avec une effervescence particulière. Dans une grande salle du Palais des expositions, décorée de draps verts et blancs, 145 producteurs d’huile d’olive, venus de 22 wilayas, se serraient les uns contre les autres, le coeur battant.

La première édition du concours national Oliomed, orchestrée par le groupe de réflexion agricole Sibsa Fellaha, touchait à son apogée. Ce n’était pas qu’une remise de médailles : c’était une célébration de l’huile d’olive, cet or liquide qui incarne l’âme de l’Algérie, un lien entre la terre, les traditions et les ambitions d’un peuple.

Des mains calleuses, des rêves dorés

En pénétrant dans la salle, l’odeur des huiles d’olive vous enveloppait comme une caresse. Sur les tables, des bouteilles scintillaient sous les projecteurs, chacune portant le nom d’un producteur, d’une région, d’une histoire. Parmi elles, celle de Hakim Alache, un homme de Djelfa au visage buriné par le soleil des Hauts-Plateaux. À 45 ans, il est devenu une légende locale. Son huile biologique, produite sur 40 hectares d’oliviers, a décroché 49 médailles internationales.

« Quand j’ai commencé, mes voisins me prenaient pour un fou », raconte-t-il en riant, ses yeux pétillant de malice. « Ils disaient : une huile de Djelfa, ça ne marchera jamais. Aujourd’hui, mes olives parlent pour moi, de Tokyo à Paris. » Hakim se souvient des nuits passées à surveiller les pressoirs, des matins glacés à tailler les arbres.

« Chaque goutte d’huile, c’est une goutte de notre histoire », dit-il en versant un filet doré dans un verre. L’arôme d’herbe fraîche et de poivre noir s’élève, et les visiteurs autour de lui hochent la tête, émerveillés. Pour Hakim, Oliomed n’est pas seulement une récompense : c’est la reconnaissance d’un pari fou, celui de faire briller une région aride sur la scène mondiale. À quelques mètres, Amar Kouka, de Boussaâda, attire les regards avec son allure de patriarche.

À 62 ans, il règne sur une oliveraie familiale de 6.500 hectares, l’une des plus vastes du pays. Son huile Chemlal, au goût fruité et légèrement amer, s’exporte jusqu’en Europe. « Mes grands-parents ont planté ces oliviers », confie-t-il, la voix empreinte de nostalgie. « À l’époque, on pressait les olives avec des meules en pierre.

Aujourd’hui, nos machines sont modernes, mais le coeur reste le même. » Amar parle de ses arbres comme de ses enfants, et lorsqu’il reçoit sa médaille, la foule l’acclame comme un héros local. Non loin, Mustapha Saoudi, de M’sila, partage son parcours avec un groupe de jeunes agriculteurs. Ses oliviers produisent jusqu’à 35.000 litres d’huile lors des bonnes années. « Les terres de M’sila sont capricieuses », explique-t-il, un sourire en coin. « Il faut les comprendre, les respecter. En retour, elles vous donnent une huile unique, avec des notes d’amande et de tomate mûre. »

Mustapha a modernisé son exploitation, mais il insiste sur l’importance de la récolte manuelle. « Une machine ne sentira jamais quand une olive est prête », dit-il en riant. Puis, il y a Nourredine Belout, de Blida, un artisan discret dont les huiles infusées au citron ou au romarin enchantent les palais algériens depuis 25 ans. À 50 ans, il cultive ses oliviers avec la même tendresse qu’à ses débuts. « Mon rêve, c’est que chaque foyer algérien ait une bouteille de mon huile sur sa table », confie-t-il. « Pas pour la gloire, mais pour le goût, pour le partage. » Ses huiles, à la fois traditionnelles et biologiques, sont un hommage aux saveurs simples : une kesra encore chaude, un filet d’huile, et la magie opère.

Oliomed : un éclat pour l’huile algérienne

Le concours Oliomed est bien plus qu’une compétition. Comme l’explique Arzeki Outoudert, membre du comité d’organisation. Il s’agit de booster la production nationale, tant en quantité qu’en qualité. « Nos huiles ont déjà séduit les jurys du monde entier », déclare-t-il, brandissant une liste de prix remportés à Dubaï, New York ou Madrid. « Oliomed, c’est un message à nos producteurs : vous êtes l’avenir de l’Algérie. »

La cérémonie de remise des prix était un moment d’émotion brute. Chaque producteur, en montant sur scène, recevait une médaille ou un certificat, mais surtout les applaudissements chaleureux de l’assistance. Des familles entières étaient venues soutenir leurs héros : des enfants agitant des drapeaux, des grands-mères essuyant une larme de fierté. « Ces médailles, ce ne sont pas que des bouts de métal », confie une productrice de Tizi Ouzou.

« C’est la preuve qu’on peut réussir, même quand tout semble contre nous. » Amine Bensemane, président de Sibsa Fellaha a donné une dimension internationale à l’événement en annonçant la création du « Club Oliomed d’Excellence ». Ce projet ambitieux vise à accompagner les producteurs dans leurs démarches d’exportation et à les propulser sur les salons mondiaux. « L’huile d’olive algérienne n’a rien à envier à ses concurrentes méditerranéennes », a-t-il lancé, déclenchant une ovation. « Avec le bon soutien, elle peut devenir une référence mondiale. »

Un secteur enraciné, un avenir prometteur

L’ancien ministre de l’Agriculture, Rachid Benaïssa, présent à la cérémonie, a dressé un tableau optimiste. « Le secteur oléicole algérien est un trésor national », a-t-il affirmé. « En doublant les surfaces cultivées, nous pourrions couvrir nos besoins domestiques et inonder les marchés internationaux. » Ses mots résonnent avec les chiffres : en 2023, l’Algérie a produit 100 millions de litres d’huile, se hissant au septième rang mondial pour l’huile d’olive et au quatrième pour les olives de table. Un exploit pour un pays où l’oléiculture, bien que millénaire, n’a connu une modernisation qu’au tournant du XXIe siècle.

De Tizi Ouzou, berceau de l’huile d’olive algérienne, aux terres semiarides de Djelfa, en passant par les oasis de Boussaâda, les oliviers sont omniprésents. Ils façonnent les paysages, rythment les saisons et soutiennent des milliers de familles. Dans les villages, la récolte est une fête : hommes, femmes et enfants se rassemblent sous les arbres, échangeant rires et chansons. Les olives, cueillies à la main, sont pressées dans des moulins modernes ou traditionnels, donnant naissance à des huiles aux profils variés, du fruité léger au robuste intense.

Mais ce succès ne s’est pas fait sans effort. Les politiques publiques ont joué un rôle clé, avec des subventions pour l’irrigation, la fertilisation et la formation des agriculteurs. À Blida, par exemple, des coopératives ont vu le jour, permettant aux petits producteurs comme Nourredine Belout de mutualiser leurs ressources. À Djelfa, des programmes d’irrigation goutte-àgoutte ont transformé des terres arides en oliveraies florissantes. Ces initiatives, combinées à la passion des producteurs, ont propulsé l’Algérie parmi les géants de l’huile d’olive.

Les défis d’un or liquide

Pourtant, les oléiculteurs algériens ne vivent pas dans un conte de fées. Les coûts de production restent élevés, entre l’entretien des oliviers, les pressoirs modernes et les certifications biologiques. « Faire une huile de qualité, ça coûte cher », soupire Mustapha Saoudi. « Et sur le marché local, certains consommateurs préfèrent encore les huiles importées, moins chères. » Éduquer les Algériens à reconnaître la valeur de leurs huiles locales est un défi majeur. L’exportation, bien que prometteuse, est un autre obstacle. Les normes internationales sont draconiennes, et les petits producteurs manquent souvent de moyens pour s’y conformer. « Obtenir une certification européenne, c’est un parcours du combattant », explique Amar Kouka. « Mais quand votre huile arrive sur une table à Paris ou à Londres, ça vaut toutes les peines du monde. »

Le « Club Oliomed d’Excellence » pourrait changer la donne, en offrant un accompagnement technique et financier. Déjà, des huiles comme celles de Hakim Alache ou d’Amar Kouka se frayent un chemin en Europe, rivalisant avec les mastodontes espagnols ou italiens. Le changement climatique ajoute une couche de complexité. Les sécheresses, de plus en plus fréquentes, menacent les rendements. À M’sila, Mustapha Saoudi raconte une année où la pluie s’est faite si rare que ses oliviers ont à peine donné. « On apprend à s’adapter », dit-il, fataliste. « On investit dans des systèmes d’irrigation, on plante des variétés plus résistantes. Mais parfois, il faut juste prier pour un peu de pluie. »

L’huile d’olive, miroir de l’âme algérienne

Au-delà des médailles et des chiffres, l’huile d’olive est un symbole. Elle est la mémoire d’une terre façonnée par des siècles d’histoire, des Phéniciens aux Ottomans. Elle est le goût des repas partagés, des rires autour d’un plat de chorba ou de mechoui. Elle est, surtout, l’oeuvre de femmes et d’hommes qui refusent de baisser les bras. À Oliomed, cette passion était partout : dans le sourire timide d’un jeune producteur recevant sa première médaille, dans les discussions animées entre agriculteurs échangeant des astuces, dans les regards fiers des familles venues soutenir leurs champions.

Le concours a aussi révélé la diversité de l’Algérie. Les 22 wilayas représentées formaient un kaléidoscope de terroirs : l’huile douce et herbacée de Blida, l’intense et poivrée de Djelfa, la fruitée de Boussaâda. Chaque bouteille est une lettre d’amour à une région, à une communauté. « Nos huiles, c’est comme nos dialectes », plaisante Nourredine Belout. « Toutes différentes, mais toutes algériennes.»

Un avenir à cueillir

En quittant la salle, les producteurs serraient leurs médailles contre leur coeur, le visage illuminé d’espoir. Pour eux, Oliomed n’est pas une fin, mais un commencement. Un commencement pour conquérir de nouveaux marchés, pour innover, pour transmettre leur savoir aux générations futures. « Cette médaille, je la dédie à mes enfants », murmure Hakim Alache, les larmes aux yeux.

« Pour qu’ils sachent que leur terre peut les porter loin. » L’huile d’olive algérienne a un avenir radieux. Avec des initiatives comme Oliomed, un soutien politique renforcé et une ferveur populaire grandissante, elle pourrait devenir un fleuron de l’économie nationale. Dans chaque goutte, il y a une histoire, un rêve, et la promesse d’un avenir doré. Et tandis que les oliviers continuent de pousser, de Tizi-Ouzou à Boussaâda, ils murmurent un message : l’Algérie, terre d’huile et de coeur, n’a pas fini de briller.

Par : HAMROUCHE MOUNIR

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