Le Midi Libre - evénement - Une vie de travail, de générosité et de résilience
Logo midi libre
Edition du 21 Avril 2025



Le Mi-Dit

Caricature Sidou


Archives Archives

Contactez-nous Contacts




L’héritage de Lounis Hamitouche :
Une vie de travail, de générosité et de résilience
21 Avril 2025

Samedi, l’Algérie a perdu l’un de ses fils les plus illustres, Hadj Lounis Hamitouche, décédé à l’âge de 79 ans en France. Propriétaire de la laiterie Soummam, cet homme au parcours exceptionnel a marqué l’histoire économique et sociale du pays par son génie entrepreneurial, sa générosité sans limites et son humanité profonde.

Son décès, survenu après une hospitalisation, a suscité une vague d’émotion à travers le pays, où il était perçu non seulement comme un industriel visionnaire, mais aussi comme un modèle d’altruisme et de persévérance.

Une enfance forgée par l’adversité

Né le 3 décembre 1946 dans le village de Chellata, niché dans les hauteurs du bassin de la Soummam à Béjaïa, Lounis Hamitouche grandit dans un contexte marqué par la guerre de libération algérienne. À seulement huit ans, en 1954, il est contraint d’abandonner l’école pour rejoindre le tumulte d’une nation en lutte. Après l’indépendance, retourner sur les bancs de l’école n’était plus une option.

Pour subvenir aux besoins de sa famille, le jeune Lounis se lance dans le commerce, un univers exigeant qui lui enseigne l’art de la négociation et la valeur de la parole donnée. Ces premières leçons, apprises dans les ruelles de son village et sur les routes poussiéreuses, forgent son caractère. Sans capital initial ni diplôme, il comprend que le succès repose sur la détermination, l’intégrité et une capacité à saisir les opportunités, même dans les moments les plus incertains.

Une ascension fulgurante depuis un point de départ modeste

En 1969, à l’âge de 23 ans, Lounis Hamitouche décide de tenter sa chance à Alger, avec seulement 50 dinars en poche. Ce modeste pécule ne l’empêche pas de rêver grand. Une rencontre fortuite avec une connaissance lui ouvre la porte du métier de chauffeur de camion, transportant des marchandises à travers le pays. Pendant cinq ans, il sillonne les routes algériennes, apprenant la discipline et l’endurance nécessaires pour survivre dans un environnement rude.

En 1974, il franchit une nouvelle étape en achetant un camion avec un partenaire, marquant le début d’une aventure entrepreneuriale. Rapidement, il acquiert trois autres camions, consolidant sa position dans le transport. Mais son ambition ne s’arrête pas là. Aspirant à une vie plus stable près de sa famille, il se lance dans le textile en ouvrant un atelier à Béjaïa. Si ce projet prospère initialement, l’ouverture du marché algérien aux produits étrangers, notamment chinois, le contraint à fermer boutique. Loin de se décourager, Hamitouche se réinvente.

Sur une suggestion de son neveu, il se tourne vers l’industrie alimentaire, un secteur encore embryonnaire pour le privé algérien à la fin des années 1980. Malgré un manque d’expérience, des infrastructures limitées et des obstacles logistiques, il fonde la laiterie Soummam en 1993, à Akbou. Ce choix marque un tournant décisif dans sa carrière et dans l’histoire de l’industrie algérienne.

La laiterie Soummam : un empire bâti sur l’innovation

La laiterie Soummam, créée avec seulement 20 employés et une production de 20 000 pots de yaourt par jour, devient rapidement un symbole de réussite. Face à une demande croissante, Hamitouche investit massivement, obtenant un prêt de 20 millions de dinars pour moderniser ses équipements.

En 1996, l’entreprise emploie 60 personnes et produit 120 000 pots par jour. Quatre ans plus tard, une nouvelle usine est construite à Taharacht, équipée de machines dernier cri. À partir de 2010, la laiterie atteint une couverture nationale, distribuant ses produits dans les régions les plus reculées de l’Algérie, avec une politique de prix uniformes qui reflète l’engagement de Hamitouche envers l’équité.

Aujourd’hui, l’entreprise emploie plus de 1350 personnes, génère un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros et exporte vers des marchés internationaux comme le Canada, la Libye, la Mauritanie, le Qatar et Bahreïn. Avec une production quotidienne multipliée par 250 depuis ses débuts, Soummam domine le marché national.

Pour assurer la pérennité de son entreprise, Hamitouche ne se contente pas de produire. Il structure l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, créant huit fermes d’élevage bovin et concluant des partenariats avec 7000 éleveurs, représentant 72 000 têtes de bétail. En 2024, la laiterie collecte 860 000 litres de lait via un réseau de 40 points à travers le pays. Pour garantir l’approvisionnement en fourrage, il lance un projet agricole à Ouargla sur 2000 hectares, stabilisant les coûts pour lui et ses partenaires éleveurs.

Une générosité sans bornes

Si Lounis Hamitouche était un titan de l’industrie, il était avant tout un homme de coeur. Fidèle à sa conviction que « les Algériens m’ont enrichi en achetant mes produits », il redistribuait sa fortune à travers des dons généreux. Il soutenait des hôpitaux, finançait des associations caritatives, logeait des familles démunies et participait activement aux campagnes de solidarité nationale.

Pendant la pandémie de Covid-19, son engagement atteint des sommets. Il offre des ambulances et installe des générateurs d’oxygène dans plusieurs hôpitaux, un geste qui lui vaut le surnom de « père de l’oxygène ». «Les soutenir dans ces moments difficiles est le moins que je puisse faire», disait- il, incarnant une vision de la richesse comme un outil au service du bien commun.

Un héritage immortel

La disparition de Hadj Lounis Hamitouche laisse un vide immense, mais son héritage perdurera. Son parcours, d’un enfant contraint d’abandonner l’école à un industriel visionnaire, est une leçon de résilience et d’ingéniosité. Sa générosité et son patriotisme en font un modèle pour les générations futures. Comme l’a exprimé un habitant de Soummam :

« Hadj était un combattant qui ne reconnaissait jamais la défaite ». Même affaibli par la maladie, il continuait à suivre de près son entreprise, cette « ville industrielle » qu’il a bâtie avec sa famille et ses collaborateurs. Ses funérailles, prévues jeudi à Chellata, son village natal, seront l’occasion pour l’Algérie de rendre hommage à un homme qui a transformé des rêves en réalité et partagé ses succès avec son peuple. Lounis Hamitouche n’était pas seulement un entrepreneur ; il était une incarnation de l’espoir, prouvant que, même parti de rien, un homme peut changer le destin d’une nation par son travail, sa vision et son coeur.

Par : HAMROUCHE MOUNIR

L'édition du jour
en PDF
Le Journal en PDF
Archives PDF

El Djadel en PDF
El-Djadel en PDF

Copyright © 2007 Midilibre. All rights reserved.Archives
Conception et réalisation Alstel