Depuis le début de l’année, l’Algérie a perdu de grandes personnalités artistiques. Ainsi l’ange de la mort a frappé encore cette fois emportant avant-hier, dans la nuit de samedi à dimanche, le chantre de la musique bédouine, Khelifi Ahmed à l’âge de 91 ans.
Plusieurs générations algériennes garderont dans leur mémoire un chanteur qui, avec seulement deux roseaux de flûtes traditionnelle (gasba), a donné à la musique bédouine une renommée internationale. Avec sa voix profonde venue du désert, nous nous souviendrons d’un homme qui a nationalisé la chanson bédouine notamment avec sa magnifique interprétation de Hizia. De son vrai nom Ahmed Abbas Ben Aïssa, Khelifi Ahmed est né à Sidi Khaled sur les rives d’Oued Jdi (Biskra).
Issu de la tribu des Ouled Ben Khelifa. Il n’a jamais connu l’école française ; son instruction fut assurée par l’école coranique où il apprit très tôt trente chapitres du Livre Sacré. Ses parents, paysans aisés, lui donnèrent très jeune le goût de l’agriculture : c’est lui qui soignait les palmiers de la famille ; il aimait ce travail qui lui permettait de grimper au plus haut des palmiers pour les tailler, les féconder ou procéder à la cueillette des régimes de dattes. Son père étant très âgé, le cadi désigna comme tuteur des enfants (trois frères et quatre sœurs) leur oncle maternel El Hadj Benkhlifa. Cet homme aura par la suite une grande influence sur la vie du jeune Khelifi, parce qu’El Hadj Benkhlifa était un des plus anciens chanteurs du genre saharien (meddahs), et le premier qui a enregistré, en 1933, chez Anouar et Bachir Er Saissi, en Tunisie, une chanson sur l’héroïne de Benguitoune, Hyzia.
Il introduisit son neveu dans la chorale de la confrérie Rahmania qu’il animait et lui donna ainsi le goût du chant et de la poésie populaires. Le talent de ce meddah était si grand que la société Baïdaphone, le fit venir à Paris en 1934 pour enregistrer ses œuvres avec Saïd El Braïdji comme accompagnateur à la flûte et Slimane Meggari comme choriste. Le jour de la sortie du disque, toute la famille s’était réunie dans la maison du grand-père pour écouter la nouvelle vedette ; la soirée se prolongea fort tard dans la nuit et le lendemain le jeune Khelifi ne put aller à l’école coranique ; son maître, à la demande de son père, l’envoya chercher par les grands de la classe et lui administra la châtiment de la «falaqa» (cinquante coups de bâton) dont il se souviendra longtemps. Mais cette correction ne suffira pas pour mettre un terme à son penchant pour le chant ; il continua à participer à toutes les soirées qu’animait son oncle dans la région d’0uled Djellal et de Biskra, et cela jusqu’en 1939.
Son oncle fut aussi la cause de son départ du village natal ; en effet, en raison de la sécheresse qui durait depuis quatre ans, l’agriculture familiale étant perdue, le tuteur des enfants se résoudra à vendre les terres de la famille pour la nourrir ; ce fut la ruine totale pour cette famille. En 1941, le jeune Khelifi, réduit à la misère, se réfugia auprès d’une de ses sœurs, à Ksar Chellala. Là, il fit une autre rencontre décisive, celle de Djerbi, menuisier de son état, qui l’engagea comme apprenti et le fit vivre au milieu de sa famille. Un des fils, amateur de musique, jouait de la mandoline et l’entraîna, en raison de ses dispositions pour le chant, dans les soirées intimes que les jeunes organisaient dans la région, développant ainsi son goût pour la musique. Il resta quatre ans auprès de cette famille dans laquelle il choisira son épouse en 1951.