Le Midi Libre - Culture - "Le beau préserve de la médiocrité"
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Edition du 17 Octobre 2009



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"Le beau préserve de la médiocrité"
17 Octobre 2009

A la veille du 14E SILA, Selma Hellal qui co-dirige les éditions Barzah avec Sofiane Hadjaj, nous a fait toucher du doigt la grande complexité de son métier de passeur d’art. Elle nous explique pourquoi, en plus de proposer des textes de qualité, sa Maison d’édition en soigne la présentation, faisant de chaque livre un objet artistique.

Midi libre : Votre moisson littéraire 2009 est constituée de livres aussi beaux que bons. Une anthologie poétique de Mahmoud Darwish, un recueil de nouvelles de Habib Ayyoub, trois  romans regroupés de notre regretté ami Sadek Aïssat  et le dernier roman de Mourad Djebel. Il y a également un très beau livre à l’intitulé prometteur de Emmanuel Dongala. Comment opérez-vous vos choix éditoriaux ?
Plusieurs facteurs interviennent : l’inclination personnelle, le choix militant, mais aussi le pari sur la rentabilité, le calcul pragmatique, le contexte financier... Toutes ces considérations entrent en ligne de compte. Il s’agit d’un «dosage» dont nous revoyons en permanence les composantes. Les titres que vous citez marquent la première «salve» de nos nouveautés d’automne : pour l’anthologie de Darwich «Rien qu’une autre année», nous avons acheté les droits aux éditions de minuit. Nous espérons d’ailleurs acquérir ceux d’une anthologie bilingue récemment parue aux éditions Actes Sud. Nous nous devions d’éditer cet ouvrage, il accompagnait l’événement que nous avons organisé en partenariat avec l’AARC, «Mahmoud Darwich, une vie de poésie». Nous regrettons - et le public nous a exprimé aussi sa frustration - que l’oeuvre de Darwich, en arabe - et ses traductions en français - ne soit pas disponible en Algérie. Quant à Ayyoub, Djebel, Aïssat : voilà trois auteurs qui, comme de nombreux autres, nous sont chers. Ayyoub renoue avec la forme dans laquelle, me semble-t-il, il excelle, c’est-à-dire celle de la nouvelle. Mourad Djebel est ce jeune auteur algérien vivant désormais en France, qui, selon nous, a l’une des oeuvres romanesques les plus intéressantes actuellement. Il est dans une quête de sens et formelle sans concession. Il était important pour nous de rendre son premier roman, «Les sens interdits», disponible ici.
Enfin, Sadek Aïssat : ce livre comptait pour nous, comme une exigence intime voyez-vous : l’édition de ce livre est pour Sadek, pour son oeuvre sobre et magnifique, pour l’intégrité de l’homme qu’il était, pour l’amitié qu’il nous a offerte. En présence de Sadek, à la lecture de ses livres, mon humanité, dans ce qu’elle a de plus fragile, de plus inquiet et de plus responsable aussi, était interpellée. Pareille rencontre est rare. Reprendre son oeuvre, et la proposer au public algérien était la moindre des choses. Sa femme, Akila, nous a beaucoup aidés à réaliser cet ouvrage, nous l’en remercions. Les trois romans de Sadek sont accompagnés d’une très belle préface de SAS, son «petit frère», et d’une postface de François Maspero, compagnon des années d’exil parisien. J’espère que nous avons été à la hauteur. 
A cet égard, ces trois dernières publications ont bénéficié du soutien du ministère de la Culture*. Conscients de l’ambivalence de tout processus de subvention, nous essayons de respecter une ligne de conduite qui consiste à proposer des livres de qualité, des livres qui font date, des livres phare, mais que nous n’aurions pas nécessairement les moyens, seuls, sans aide, d’éditer. Le soutien du ministère amortit le risque : c’est un avantage non négligeable, qui nous permet de proposer des oeuvres magnifiques non «rentables». Mais il est vrai que cette aide, si elle ne fait pas l’objet d’une réflexion, si elle est considérée comme «bonne à prendre» à tout prix, contribue à dénaturer la profession, à créer des comportements mercenaires et peu exigeants. Personne n’est à l’abri de cette dérive, y compris et d’abord nous-mêmes. C’est pourquoi c’est une question à débattre, à interroger en permanence, sans relâche. En instaurant par exemple des garde-fous, en veillant à assurer des évaluations, des contrôles, des balises éthiques et professionnelles.
*Opération de subvention de 10 titres soumis par l’éditeur.

Vos livres ont une esthétique soignée, pourquoi ce choix ?  
Nous essayons, autant que le permettent les conditions - la disponibilité et le choix du papier, la rigueur et l’honnêteté de l’imprimeur - de maintenir une certaine exigence du beau. C’était, avec Sofiane, une de nos ambitions de départ : dans un pays dont les repères sont en pleine re-définition, le mal-fait, le kitsch, le bâclé deviennent insensiblement la référence... Nous tentons, vaille que vaille, de maintenir haute la barre de l’exigence et du beau. Nous n’y parvenons pas toujours, mais c’est en partie ce qui nous meut. Et Chantal Lefèvre (pour le maillon en aval : l’imprimerie Mauguin qu’elle dirige), ainsi qu’ahmed Saidi (pour le maillon en amont : l’infographie, la conception), sont deux compagnons, entre autres, de cette aventure. Car le beau, nous semble-t-il, préserve de la médiocrité, donne la possibilité d’une certaine élévation. Aujourd’hui, nous souffrons tous d’un manque d’élévation, rattrapés que nous sommes par les contraintes du quotidien, le terne de nos jours.... et de nos soirs. 

Pourriez-vous nous parler de «Terres Solidaires», cette  aventure féconde que Barzakh partagent avec d’autres maisons d’éditions africaines. Une aventure qui nous a, notamment, permis de découvrir «Sozaboy, pétit minitaire» le chef d’œuvre du Nigérian Ken-Saro Wiwa, exécuté en 1995 à Port Harcourt. 
C’est une aventure stimulante. Plusieurs éditeurs «du Sud» (Maroc, Mali, Togo, Cameroun, et d’autres encore) se mettent d’accord pour éditer un roman d’un auteur «du Sud» paru «au Nord» : les droits sont achetés à l’éditeur «du Nord» et un parmi tous ces éditeurs (il se trouve que nous avons joué ce rôle pendant quelque temps, mais le principe est que cela tourne), se charge de faire la mise en page, la couverture, de tirer une quantité donnée d’exemplaires pour tous. Ensuite, il fait parvenir à chaque éditeur le quota commandé, et les ouvrages, imprimés en Algérie (par exemple), se mettent à circuler au Rwanda, au Congo-Brazzaville, au Maroc, etc. C’est assez beau quand on y pense. Chaque étape fait l’objet d’une concertation. C’est pourquoi c’est une expérience hautement stimulante, parce qu’on est dans un collectif, dans une démarche militante, qui vient considérablement enrichir l’expérience «solitaire» d’éditeur dans son propre pays. Là, il faut penser ensemble, réfléchir aux enjeux ensemble, négocier, parier ensemble. En outre, cela nous a permis, de manière très personnelle, de nous familiariser avec une littérature d’Afrique sub-saharienne que nous connaissions très peu, voire pas du tout. Certes, pour mener à bien cette tentative d’édition «équitable» - qui a clairement le souci de corriger des déséquilibres dans la «géopolitique» de l’édition -, il nous faut (c’est essentiellement Sofiane qui s’en occupe d’ailleurs) prendre sur notre temps, cela accroît incontestablement notre charge de travail, nos soucis. Mais quelle belle expérience. Et nous comptons la perpétuer. La prochaine publication, qui devrait être prête pour le SILA justement, est intitulée «Petit précis de remise à niveau sur l’histoire de l’Afrique à l’usage du président Sarkozy»... Un ouvrage collectif digne et cinglant édité à la suite du discours de Dakar du président français. Quand je vous dis que l’expérience est stimulante...

Comment se présente pour vous, le prochain SILA?  
Nous nous y préparons. Avec curiosité pourrait-on dire. Avec circonspection aussi. Soyons francs, il est difficile de «faire comme si» après la polémique des dernières semaines, complaisamment relayée par la presse. Le fait que le salon ait lieu ailleurs, dans un autre cadre que la Safex peut se révéler intéressant. Mais pareil infléchissement s’est opéré dans de telles conditions - manque de communication, désinformation, conflits d’intérêt, coups bas, etc. - qu’il paraît difficile d’imaginer que l’événement (son déroulement, son exigence), n’en soit pas affecté, d’une manière ou d’une autre. Nous savons toutes les questions qui se posent à notre secteur (intriquées, de toute façon, avec celles du pays dans son ensemble) : la nécessité d’une politique du livre pensée, globale; la place de la lecture à l’école ; le rôle des bibliothèques ; la loi de finances complémentaire qui met un coup d’arrêt à l’alimentation des librairies en nouveautés, (mais il est bon aussi de parler de l’effet par ailleurs stimulant qu’elle pourrait avoir sur l’édition nationale) ; l’incapacité de notre corporation à nous organiser, à cultiver une représentativité ; les avantages mais aussi les risques d’une politique de subvention à l’édition... Autant de points que nous n’arrivons pas discuter. Qu’il n’y ait pas de malentendu. Quand je dis «nous», j’inclus les éditions barzakh. Nous sommes tous concernés. Peut-être les espaces de débat prévus pendant le salon permettront-ils d’aborder quelques-unes de ces questions de manière éthique et honnête ? Le climat sera-t-il propice à pareil débat ? Nous verrons. En tout cas, nous nous préparons à rencontrer le public. Ce moment est toujours très beau. Il donne du courage, de l’espoir, nous y retrouvons une part de notre désir. Nous nous préparons, donc. Avec lucidité. Avec gravité aussi, celle qui accompagne la perte de l’innocence.

Nouvelles parutions aux éditions Barzakh
Explosives salves d’automne

"L’homme qui n’existait pas" de Habib Ayyoub 
Habib Ayyoub est de retour... avec ses personnages attachants, malmenés par la vie et leur quotidien terne et douloureux. Le ton de ces nouvelles est plus féroce que jamais, mais aussi chargé de tendresse et de malice.

3 romans de Sadek Aïssat
C’est un événement : la réédition, en un seul volume, des trois romans écrits par Sadek Aïssat. L’oeuvre de ce grand écrivain décédé en 2005 est enfin disponible, accompagnée d’une préface de SAS, son "petit frère", son ami, et d’une postface de François Maspero, compagnon dans l’exil parisien.

"Les sens interdits" de Mourad Djebel
Premier roman de ce jeune auteur algérien à l’écriture dense et tourmenté. Dans une prose exigeante, il raconte l’Algérie des années 80 et 90, les désillusions, la violence, mais aussi l’amour.

"Jazz et vin de palme" de Emmanuel Dongala
Après "Sozaboy" et "De l’autre côté du regard", l’aventure "Terres solidaires" (l’édition collective - plusieurs éditeurs du Sud - de textes littéraires du Sud) se poursuit : cette fois avec un recueil de huit nouvelles, qui raconte le Congo mais surtout la déroute des jeunes Etats africains avec une ironie cinglante.

"Rien qu’une autre année" de Mahmoud Darwich
Anthologie poétique. Traduction vers le français par le grand écrivain marocain Abdellatif Laâbi.

Par : Karimen Toubbiya

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