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Rapatriement des crânes des résistants;
l’Algérie a honoré sa dette
4 Juillet 2020

En procédant au rapatriement des crânes de 24 résistants algériens à l’occupation française, l’Algérie aura "honoré sa dette" envers ces derniers, a affirmé le chercheur en Histoire, Hassan Remaoun, qualifiant la séquestration en France de ces ossements de "morbide et criminelle".

"En tant qu’Algérien d’abord, je ne peux que me réjouir de cette nouvelle. L’Algérie a honoré ainsi sa dette envers des résistants que l’armée coloniale, ne se contentant pas d’éliminer en tant que combattants, est allée jusqu’à porter atteinte à l’intégrité de leurs corps en les décapitant", a déclaré à l’APS M. Remaoun. Commentant, ainsi, le rapatriement, vendredi, de ces ossements, le chercheur associé au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle(CRASC), a estimé que la séquestration de ces ossements humains, pendant une si longue période, n’était pas "une prise de guerre mais un crime absolu contre l’humanité", qualifiant cet acte de "morbide et criminel".

En exposant ainsi les têtes de ces valeureux combattants, la France coloniale voulait les présenter comme "un signe de prétendue bravoure et de puissance", a ajouté M. Remaoun, précisant que les crânes des Algériens étaient "classifiés et enfermés" dans des réserves du Musée de l’Homme (Paris), avant d’être découverts par un chercheur d’origine algérienne. Il a noté, en outre, que pour le système colonial, ce procédé "avait une fonction importante dans la stratégie de mobilisation des soutiens et ressources nécessaires à l’expansion et à la perpétuation du nouvel ordre social qui émerge dès l’aube du capitalisme, pour se généraliser au XIXe siècle: Pour s’assurer l’appui des populations des métropoles coloniales et du centre impérial, il fallait les motiver en leur faisant miroiter les retombées dont elles pourraient, elles-mêmes, tirer profit, mais aussi en mobilisant les ressources émotionnelles", a-t-il explicité. Par conséquent, il s’agissait pour l’empire colonial, de "faire passer des actions profondément criminelles pour des actes nobles et civilisateurs et, pour cela, il devait fabriquer l’illusion de la participation de chacun comme +si on y était soimême+, en important des fétiches", poursuit- il, avant de déplorer qu’en plus d’être présentés "comme signe de puissance" pour les armées coloniales, les ossements et crânes humains étaient également exhibés comme "curiosités scientifiques".

Ce qui explique, a-t-il détaillé encore, que "des millions de photographies, dessins et objets aient été importés en Europe pour être exposés aux populations dans des musées et lors d’expositions", faisant rappeler que des historiens contemporains, notamment en France, ont tenté de "recenser" ces objets mis en vitrine. Ce qui mériterait, à ses yeux, un "hommage pour tout ce qu’ils ont accompli dans ce domaine". Le chercheur au CRASC tient à souligner, que "cela ne s’est pas arrêté là, puisque même des êtres vivants ont été déplacés pour être exposés dans des cirques", citant le cas de la Vénus Hottentot, exhibée en Angleterre et en France et dont les restes furent exposés au Musée de l’Homme, une fois décédée jeune en 1816, avant d’être restitués, en 2012, à son pays d’origine, l’Afrique du Sud. "L’Anthropologie physique occidentale, empreinte à l’époque d’ethnocentrisme et de racisme, avait besoin de ces reliques pour +prouver+ la supériorité physique et morale de +l’homme blanc+ et, donc, sa prédisposition à déployer une mission civilisatrice à travers le reste du monde", a commenté M. Remaoun. Et dans ce registre, ce fut le cas "des Algériens comme de bien d’autres et jusqu’au tout début du XXe siècle, des Hereros namibiens qui, après avoir subi un véritable ethnocide, ont vu leurs ossements transportés en Allemagne, pour étayer à travers de prétendues études scientifiques, des théories qui contribueront à ouvrir la voie au nazisme", a-t-il développé encore.

Assurer la mémoire, la dignité et la sérénité des Algériens

Interrogé sur la portée du rapatriement en Algérie desdits crânes, l’historien est d’avis que cette mesure "exprime des demandes tant réclamées et issues du plus profond de notre société et pourrait aider à assurer la mémoire nationale, ainsi que la dignité et la sérénité de notre peuple". De même qu’elle peut constituer "un maillon supplémentaire pour cultiver au sein de notre jeunesse, civisme et patriotisme". Tout en considérant que les Algériens sont "en droit d’attendre, aussi bien de l’ancienne puissance coloniale que des autorités nationales", pareille démarche, le chercheur a tenu à noter que "les ossements de l’époque coloniale n’ont plus la même signification en ce début du XXIe siècle, où les statues des esclavagistes et des généraux coloniaux ont tendance à être déboulonnées dans leur pays d’origine même". "Toujours est-il que, tout en se débarrassant de pièces à conviction flagrantes témoignant du passé colonial de leur pays, les autorités françaises ont sans doute donné à cette action les allures d’un geste en direction de notre pays, et il sera possible de l’accepter comme tel s’il est suivi par d’autres à l’avenir", a-t-il fait remarquer. Une perspective qui dépendra, selon le chercheur, "également des aléas liés aux stratégies électorales du mouvement du Président français et des autres partis politiques français", plaidant pour "continuer à avoir un oeil éveillé sur notre passé, sans perdre de vue que, de plus en plus, la pression de notre jeunesse exige que nous sachions aller de l’avant". "L’un et l’autre regard devant s’exercer simultanément. Ainsi vivent et évoluent les sociétés humaines", fait observer M. Remaoun, en guise de conclusion.

L’accès aux archives, toujours entravé par des lois restrictives en France

L’Algérie célèbre le 5 juillet, le 58e anniversaire de son Indépendance après une guerre de Libération de 7 ans et demi, considérée comme l’une des plus emblématiques des luttes des peuples, au 2e siècle, pour la liberté et l’émancipation du joug colonial, alors que la question des archives sur la période de la colonisation française demeure posée, tant dans son volet relatif à la restitution de celles à caractère national que celui de l’accès des
chercheurs. La restitution des archives nationales
(1830-1962), détenues par la France, constitue une des principales revendications de l’Etat algérien dans le dossier relatif à la mémoire collective des Algériens. Outre la question des archives, faisant l’objet de négociations entre les deux pays, le dossier de la mémoire comprend aussi les disparus durant la Guerre de libération, l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français dans le Sahara algérien et la récupération des crânes des résistants algériens se trouvant au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Vingt-quatre (24) des restes de ces résistants ont été rapatriés vendredi à bord d’un avion de l’Armée nationale populaire (ANP).

Un projet de loi instituant le 8 mai 1945, Journée nationale de la Mémoire, a été adopté en juin par les deux chambres du Parlement, l’Assemblée populaire nationale (APN) et le Conseil de la Nation. Le 8 mai 1945, et alors que les Français célébraient la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie, des dizaines de milliers d’Algériens sont sortis dans les rues de Sétif, Guelma, Kherrata et dans d’autres villes pour revendiquer pacifiquement l’indépendance de l’Algérie, ainsi que l’avait promis la France s’ils la soutenaient dans la guerre contre le nazisme. La réponse du gouvernement français d’alors fut sanglante, d’une brutalité inouïe: 45.000 Algériens furent massacrés. Dans un message à la Nation, à l’occasion du 75e anniversaire de ces massacres, le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, avait annoncé sa décision d’instituer le 8 mai de chaque année, Journée nationale de la Mémoire, et donné des instructions pour le lancement d’une chaîne de télévision spécialisée en Histoire, afin de conserver la mémoire de tous les mouvements de résistance à l’occupation et la guerre de Libération nationale.

"Notre Histoire demeurera toujours au premier plan des préoccupations de l’Algérie nouvelle, et de sa jeunesse, une Histoire que nous ne saurions, en aucun cas, omettre dans nos relations étrangères", avait-il affirmé, relevant qu’"une nation qui préserve son passé, se préserve elle-même". Le ministre des Moudjahidine et des Ayants-droit, Tayeb Zitouni, avait déclaréque "les relations avec l’Etat français ne peuvent être normales tant que le dossier de la mémoire n’est pas réglé", rappelant que l’Algérie n’a fait que défendre son droit à l’existence durant sa résistance au colonisateur français, un droit soutenu par de nombreux Français. En octobre dernier, il avait souligné dans la commune d’Ain Beida Ahriche (Mila), sur le site de Zouabek où un massacre collectif d’Algériens avait été perpétré sous l’occupation française, que "l’écriture de l’Histoire est un des dossiers importants de la mémoire nationale", soulignant que les crimes commis par la France coloniale "ne tomberont pas en prescription". Le ministre avait ajouté, que la partie française "n’a pas encore affiché une volonté sincère" d’apurer ledossier relatif à la mémoire.

Des Associations françaises réclament "l’accès immédiat" aux archives

Des Associations, des historiens et des juristes français, ont plaidé le 21 juin dernier auprès du Premier ministre français, Edouard Philippe, pour "l’accès immédiat" aux archives relatives, entre autres, à la Guerre de Libération de l’Algérie, à traversl’abrogation du texte de loi stipulant la "protection du secret de la Défense nationale". L’Association des archivistes français (AAF), l’Association des historiens contemporanéistes (AHCESR), ainsi que de l’Association Josette et Maurice Audin, ont demandé que ces archives soient "librement communicables de plein droit a? l’expiration d’un délai de cinquante ans, sans qu’aucune autre condition particulière ne puisse être exigée". Dans une déclaration rendue publique, cesassociations, juristes et historiens ont appelé à "l’abrogation" de l’article 63 de l’instruction générale interministérielle portant "protection du secret de la défense nationale", déplorant que l’application de cette instruction se soit "considérablement durcie ces derniers mois", en subordonnant la communication de ces documents à une procédure administrative dite de "de classification". Les auteurs de la demande ont expliqué, à cet égard, que la declassification des documents, consistant à apposer un marquage réglementaire complété par des informations porte les mains sur chaque document, était "une tâche titanesque car les services d’archives peuvent se trouver dépositaires de dizaines de milliers de documents couverts par le secret de la défense nationale".

"Cette situation, sous le prétexte abusif de la nécessité de protection du secret de la défense, a pour conséquence une complexification absurde et une restriction sans précédent de l’accès aux archives publiques de la période 1940- 1970", ont-ils observé. Tout en insistant sur l’abrogation des dispositions de ladite instruction, jugées "contraires à la loi", les signataires de la déclaration ont estimé que "les effets pratiques, constatées par de nombreux chercheurs et citoyens, posent des limites inacceptables au libre examen de l’histoire récente (de la France) dans un cadre démocratique et républicain"

Par : RAHIMA RAHMOUNE

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