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Prix littéraires truqués
"Un poncif vieux d’un siècle"
9 Janvier 2014

Dans un livre, l’éditeur Claude Durand, ancien patron de Fayard, pointe les pratiques peu louables des maisons d’édition lors de la saison des prix. Des révélations qui, chaque année, alimentent la chronique, estime l’écrivain Pierre Assouline.

C’est un peu le marronnier du monde de l’édition. À chaque rentrée littéraire — celle de septembre puis celle de janvier — des voix plus ou moins audibles s’élèvent pour dénoncer les petits arrangements qui compromettent la crédibilité des sacro-saints prix censés couronner les meilleures œuvres de l’année. La dernière accusation en date aurait sans doute rejoint la longue liste des inoffensives récriminations si elle n’avait été proférée par une figure de l’édition française :

Claude Durand. Dans une interview accordée au Figaro Magazine, l’ancien patron de la maison Fayard, à qui l’on doit la découverte en France d’Alexandre Soljenitsyne et de Gabriel García Márquez, brosse un portrait peu reluisant du métier d’éditeur. Inflation des romans édités, bienveillance envers les jurés des prestigieuses récompenses, débauchage à prix d’or d’auteurs rentables… Claude Durand, qui vient de publier "J’aurais voulu être éditeur" sous le pseudonyme de François Thuret (éd. Albin Michel), dévoile quelques-unes des petites et grandes manigances qui prévalent dans le milieu quand s’ouvre la saison des prix.

Troc de voix
À propos des Goncourt, Renaudot, Médicis et autres prestigieuses distinctions, qu’il dit "truquées", l’homme de lettres évoque "la fâcheuse tendance, à la longue, à ne plus couronner des œuvres, mais des éditeurs". Les bénéficiaires étant, pour les prix les plus convoités, Gallimard, Grasset, Le Seuil (le fameux système "Galligrasseuil") et, dans une moindre mesure, Actes Sud ou encore Albin Michel. Autant de maisons qui disposent au sein des jurys d’écrivains publiant chez elles.

"La méthode la plus courante est le troc de voix, raconte Claude Durand à l’hebdomadaire. Des patrons de maison ou leurs subordonnés vont tenter un marchandage en disant, par exemple : ‘Moi, j’ai deux voix au Goncourt, et tu en as trois au Renaudot. J’ai eu le Goncourt l’année dernière, donne-moi tes voix au Renaudot et je te donnerai mes voix au Goncourt...’, et ainsi de suite avec, parfois, des échanges plus sophistiqués."

"Peu d’effets sur les lecteurs"
Aussi sensibles soient-elles, ces révélations ne sont pas les premières à paraître dans la presse ou dans un livre. "Les critiques portées à l’encontre des récompenses littéraires est un poncif, un lieu commun qui se perpétue depuis un siècle, affirme à France 24 Pierre Assouline, journaliste, écrivain et membre de l’Académie Goncourt depuis 2012.

Ces reproches sont le fait d’éditeurs qui se sentent écartés du système. Ils sont consubstantiels aux prix mais n’ont que peu d’effets sur les lecteurs." "Tout le monde connaît plus ou moins le jeu, personne n’est dupe, croit savoir, pour sa part, Gladys Marivat, chroniqueuse littéraire à France 24. Le public commence à comprendre que les prix ne distinguent pas toujours des chefs d’œuvre. Les lecteurs font la part des choses et se comportent moins en mouton qu’avant.

Avec Internet, les blogs, les libraires, ils disposent d’une multiplication de sources qui leur permet de se faire un avis. Si manipulation il y a, elle ne va pas en tous cas les obliger à lire les livres primés." Si, cette année, le Goncourt devrait assurer à son lauréat, Pierre Lemaitre (pour "Au revoir là-haut"), les 400 000 ventes habituelles, les autres prix ne semblent pas avoir généré de best-sellers.

Sur les 10 meilleures ventes de romans recensées par le magazine Challenges, seul figure le Goncourt (à la première place). Pas de Renaudot ("Naissance" de Yann Moix), ni de Médicis ("Il faut beaucoup aimer les hommes" de Marie Darrieussecq) ou de Femina ("Saison de l’ombre" de Léonora Miano).

Au Royaume-Uni, une espionne chez les jurés
Reste que, dévoilés au grand jour, ces petits calculs de jurés inamovibles et partiaux risquent de fortement décrédibiliser ce rituel bien français des récompenses de la rentrée littéraire. D’aucuns plaident d’ailleurs pour l’instauration de jurys tournants, à l’instar de ce que pratique le Man Booker Prize au Royaume-Uni.

"Je ne suis pas spécialement admiratif du Booker, commente Pierre Assouline. On trouve dans le jury des personnes compétentes mais, certaines années, il y en a quelques-uns dont on se demande ce qu’ils y font." En 2011, nombreux sont ceux qui se sont, en effet, étonnés de la présence parmi les sages du Man Booker Prize de Dame Stella Rimington, ex-patronne des services secrets britanniques…

Peu de chances, en France, de trouver un ancien agent de la DST au sein de l’Académie Goncourt, tant les velléités de changement se heurtent aux bonnes vieilles habitudes. "Les réformettes apportées aux règlements des différents prix n’ont guère banni ces pratiques, même si elles ne sont pas systématiques", assure Claude Durand au Figaro Magazine.

Pour Pierre Assouline, la controverse fait de toute façon partie de la vie littéraire made in France. "Ce genre de polémique n’est pas gênant pour les prix, au contraire. Tant que cela fait scandale, ils font parler d’eux. Les prix littéraires ont leur défaut mais font que le grand public parle des livres de novembre à juin. Et cela fait vendre des livres. Pourvu que ça dure…"


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