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Kateb Yacine, 18 ans après sa mort
Un géant à revisiter
28 Octobre 2007

Il y a 18 ans, à Grenoble, la leucémie avait vaincu un combattant infatigable, le poète, dramaturge, metteur en scène, journaliste, voyageur et militant progressiste, Kateb Yacine.

Kateb est un Keblouti du Nadhor, (village situé entre Guelma et Annaba), un lieu qui ressemble à la chaussée des géants, mais habité par des chênes-liège déformés par une nature hostile. Ils font penser à la forêt qui marche des légendes bretonnes ou des Chevaliers de la Table Ronde.
Yacine est lycéen quand la Deuxième Guerre mondiale se termine par la victoire des Alliés et la part immense des soldats d’origine algérienne ou des colonies françaises dans la reconquête de la liberté. Ces mêmes alliés avaient pris des engagements envers le peuple algérien en vue d’améliorer ses conditions de vie et d’expression, sitôt les fascistes anéantis.
Aussi, la capitulation de l’Allemagne nazie obtenue, les Algériens voient dans cette victoire qu’ils fêtent le début de leur émancipation. Erreur tragique car leurs manifestations seront réprimées par l’armée française et par les colons qui font 45.000 victimes à Sétif, Guelma, Kherrata, Saida, etc.
Le lycéen Yacine participe à ces manifestations et sa mère, ne le voyant pas revenir (il était arrêté), devient folle. La répression et la folie feront de Kateb Yacine un lutteur social et un soutien des femmes dans leur combat pour l’égalité, l’instruction et la culture, la responsabilité dans la cité.
Renvoyé du lycée, on le retrouve à Paris où il donne une conférence sur l’Emir Abdelkader. Son entrée en écriture est un coup de maître, car il n’a que 17 ans !
A 18 ans, en 1948, il est journaliste à «Alger républicain», sa collaboration durera 3 ans.
Sa biographie le fait docker, manœuvre et écrivain public.
Deux anecdotes pour donner de Kateb une idée moins austère et illustrer sa méthode. La première a trait au journalisme. Un rédacteur d’Alger républicain lui demande un court écrit pour remplir un vide apparu au montage ; qu’à cela ne tienne ! Kateb rédige un billet dont voici la teneur : «Un troupeau d’éléphants roses a attaqué un village africain faisant de nombreux morts, etc.» Toujours, sur le même registre, on raconte qu’après l’Indépendance, l’équipe d’Alger républicain lui avait confié la couverture de la visite du Président Ben Bella à Sétif ; il envoya un article dithyrambique sur la ferveur populaire et les réactions enthousiastes au discours de Si Ahmed ! La réalité est que ce voyage avait été reporté !
Cela dit, sans esprit malveillant, plutôt comme sa manière de dénoncer la langue de bois et le suivisme…
Docker, il a fait le pèlerinage à la Mecque, clandestinement, à fond de cale pour un reportage sur la promenade du paquebot qui emmenait les pèlerins, Abdelkader Safir, également journaliste.
De l’Arabie il se rend au Soudan et surtout Khartoum. Il a été écrivain public. Il passera les années de guerre en Europe où toutes les capitales lui ont réservé un accueil mémorable, surtout après la sortie de «Nedjma» en 1956. Ce livre l’installe d’emblée comme l’auteur maghrébin modèle et émancipateur puisque sa formule d’ «utiliser la langue française comme une arme» libérera tous les jeunes écrivains de langue française qui participeront dès lors à toutes les luttes de leurs peuples. Rappelons que c’est la revue «Esprit» dirigée par Emmanuel Mounier, un chrétien «de gauche» qui a publié, avant la parution de «Nedjma», «Le Cadavre encerclé». C’est à cette même période qu’il fait la connaissance de Jean-Marie Serreau, le metteur en scène de théâtre qui montera la pièce à Carthage avec comme acteur principal, Mohamed Zinet qui sera plus connu pour son film «Tahia ya Didou». A Paris, Yacine rencontre M’Hamed Issiakhem, Mohamed Said Ziad et Djamel Amrani, après sa libération de prison où il a subi les tortures qu’il a dénoncées dans son livre à charge contre les exactions de l’armée française : Le témoin. Tous les intellectuels algériens trouveront en Europe le soutien des personnalités les plus éminentes de la culture et des anticolonialistes.
A l’Indépendance, il tente de reprendre pied dans la société algérienne bouleversée. Il était déjà un auteur consacré ayant publié «le Cercle des représailles», «le Polygone étoilé» et bien sûr «Nedjma», l’œuvre référence et porte-drapeau.
Il se pose des questions sur le lien avec les plus humbles et réfléchit à la meilleure manière de faire connaître son travail, ses idées, ses combats. «Keblout», l’ancêtre est encore là, mais il s’effacerait presque devant «la Poudre d’intelligence» et «Mohamed, prends ta valise !» prémonitoire. Mais alors, point besoin de visa !
Il fait paraître un pamphlet, «Les frères monuments» qui le mène devant Houari Boumediene, choqué par le traitement qu’il fait des bergers ignorants des choses de la religion ; ses ennemis ayant assimilé et fait accroire que la charge contre ceux-là étaient antireligieuse. Aujourd’hui, ce sont les autorités religieuses qui déplorent cette ignorance dangereuse.
Mohamed Said Mazouzi, alors ministre du Travail, le loge au centre familial de Ben Aknoun et lui attribue un local pour sa troupe «Action culturelle des travailleurs». Sa petite équipe, sans moyen, fera le tour du pays pour jouer «la Guerre de 2000 ans» et «la Palestine trahie».
A Annaba, centre de la sidérurgie, il propose à une connaissance un rendez-vous matinal «pour manifester contre la bourgeoisie !», l’ami demande : «Combien seront nous ?» Kateb répond simplement, «Toi et moi !»
Plus tard, le théâtre de Bel Abbès devient la base de la troupe : Il marque la récupération, illusoire, de Yacine par le «système». Après quelques mois, il se rend à l’évidence, une étape se termine.
Kateb continue d’écrire «pour lui» pourrait-on dire. Ce repli est quelque fois rompue par un voyage à l’étranger, au Vietnam par exemple, où il rencontre Ho chi Minh et il en rapporte «L’Homme aux sandales de caoutchouc» qui sera jouée sur la scène du TNA !
Il est à New York pour «la Poudre d’intelligence» montée en anglais. Il en profite pour réveiller la conscience nationaliste des Indiens !
A Alger, à partir de Ben Aknoun, il rayonne sur la vie culturelle «underground». Il est avec Issiakhem le plus virulent critique des arrivistes…
A l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, en 1989, il reçoit commande d’une pièce de théâtre. Déjà très malade, il écrit «le Bourgeois sans culotte ou le spectre du Parc Monceau »
La boucle est bouclée puisque, selon la légende katébienne, l’un de ses mystères est celui qu’il vécut, encore jeune, alors qu’il était hébergé dans une maison en face du cimetière chrétien de Annaba. Au matin, il se retrouve affublé d’une soutane noire de curé !
Hospitalisé à Grenoble, où existe une bibliothèque Kateb Yacine, il y décède le 28 octobre 1989.
Commence alors l’éternité que ni les pilleurs de dépouilles ni les vampires de l’œuvre ne pourront souiller.

Par : Larbi Oucherif

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