Flora a vécu sa jeunesse en France. Après son retour au pays en 1995, en pleine tourmente, elle s’engage dans le militantisme politique dans les rangs démocratiques et les associations féminines. Ses engagements lui vaudront un licenciement pendant les évènements de 2001. Militante pour la parité, en politique notamment, elle s’associe à diverses actions pour l’égalité et ne manque pas de témoigner des inombrables violences faites aux femmes. Elle sillonne l’Algérie à la recherche de ses racines et de la culture des anciens à travers leurs us, chants, contes et poésies. Elle travaille sur l’œuvre de Taos Amrouche pour en retrouver les pièces encore en usage et présente ainsi quelques conférences-chants sur les originaux et les diverses variantes des montagnes kabyles, en participant à la vulgarisation de l’Achewiq. En parallèle, elle se consacre à la promotion des jeunes en créant des ateliers ludiques de différentes expressions où terroir et modernité s’étreignent pour bosster les talents.
Midi libre : Vous avez participé au Salon du livre avec l’Agence algérienne du rayonnement culturel ; quelles sont vos appréciations par rapport à ces activités ?
Moi j’adore les petits, c’est une source de jouvence insoupçonnable. Je ne ressens pas mes années de vieillesse, ni mes bobos, quand je suis avec eux, je suis à leur niveau ! C’est ce qui me donne ma bonne humeur joviale, ma paix de l’âme et de cœur… J’ai participé avec les enfants pour aborder notre histoire, celle du cinquantenaire de la libération à travers différents ateliers ludiques mais aussi l’art de raconter. Ils ont eu la parole pour exprimer leur point de vue à travers le prisme de leur cœur en évoquant certaines dates phares et le nom des acteurs de la révolution. Mon atelier a pour but de les inciter à la souvenance à travers de petits travaux aux couleurs de notre drapeau, un univers plus facile qu’un cours en classe pour retenir des choses car assimilé dans la tête de l’enfant à un moment de plaisir partagé en famille. D’ailleurs, les parents les aidaient à répondre aux questions ou chanter des hymnes à la gloire de nos martyres… La pratique du conte est millénaire, chaque culture a véhiculé son histoire depuis l’aube des temps à travers la poésie épique, chants et comptines, que l’on se passe génération après génération. C’est la trame sur laquelle se tisse la vie. Chaque humain porte la mémoire de ses gènes propres et l’exprime à travers son art culturel. L’art du verbe est le moyen premier de sa diffusion aux tout petits. Je suis très contente que l’AARC ait intégré un programme pour les tout petits. Il faudra maintenant qu’il se pérennisent à travers certaines de ses actions tout au long de l’année car elle participe plus que d’autres comme, son nom l’indique, au «rayonnement culturel».
Pourquoi avez-vous préféré l’action culturelle ?
J’ai préféré l’art aux métiers de l’administration auxquels je me destinais. Par la suite, je me suis impliquée dans la société civile grâce à cela. Je voulais toujours être en mouvement, et dans le mouvement de la femme en général. Qui dit femme dit automatiquement famille et, donc, enfant, si on ajoute le partenaire masculin, le tout est égal à «la société»… Donc voilà, du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours investi dans l’art, la culture et l’action humanitaire en conjuguant le tout. L’essentiel étant de vivre en croquant la vie à pleine dents. Faire quelque chose, c’est exister après tout, ne pas se murer face aux autres mais aller au fond de chacun pour puiser le meilleur et continuer à vivre.
Passé, présent et avenir ; comment se présente selon vous la culture ?
Je ne puis me prononcer sur le passé pour ne pas l’avoir vécu. Mais beaucoup m’on témoigné que la culture avait bonne presse avant, qu’il faisait bon vivre dans les grandes villes où beaucoup d’infrastructures offraient de nombreuses opportunités. Les gens profitaient d’activités culturelles en toute sécurité, la femme était respectée, pour certains artistes c’était l’âge d’or, financièrement ils s’en sortaient bien… Pour le passé récent dirons-nous, on a failli sombrer définitivement dans le chaos. La mort a tout enveloppé de son manteau noir et beaucoup on payé cher leur esprit créatif. Hamdoulah, les patriotes toujours prompts aux sacrifices ont répondu présents et heureusement le feu n’a pas tout ravagé même si le pays a failli se retrouver totalement à genoux ou presque en subissant de grosses pertes. Malheureusement, le secteur culturel a eu le plus gros prix à payer… Ce sont des milliards qui sont partis en fumée pour les espaces saccagés, beaucoup de «lumières» aussi, des hommes et des femmes prestigieux, ravis aux leurs, ressources d’expériences, condamnés par la faucheuse au silence éternel ou à l’exil forcé. Je dirai donc, qu’il y a eu un gros frein lors de la décennie noire, cause aussi d’une génération issue de toute cette violente tourmente et dont on ne mesure pas encore assez les retombées.
Pourquoi l’art est-il si important ?
On dit de l’art qu’il fait le rayonnement d’un pays à travers ses vestiges, il témoigne de sa civilisation, sa grandeur, ses richesses. L’Algérie est rayonnante de culture, elle foisonne de créativités, tout y est à construire, à inventer… On a pas besoin d’aller chercher ailleurs l’inspiration. Chez nous elle est présente à chaque pas, à chaque regard ; elle est là prête à être cueillie et «recueillie»… il suffit juste d’un soupçon de talent et le tour est joué… Dans toutes les histoires de guerre et de domination, on s’attaque toujours en premier, à la culture de «l’ennemi» à abattre pour effacer la mémoire originelle de son peuple et imposer la sienne…
Quel est l’état global des lieux, à votre avis, pour es prestations en faveur de la jeunesse ?
C’est une catastrophique ! Bien que maintenant, on s’intéresse un peu à notre jeunesse qui a été longtemps oubliée, voire marginalisée… Moyens ou pas, je ne sais pas. Mais les responsables aujourd’hui de la «chose culturelle» commencent à prendre conscience que la jeunesse doit être eformée, écoutée, regardée, boostée, voir aimée. Engagement citoyen oblige, il nous est arrivé plusieurs fois moi et mes amis d’aller sensibiliser des acteurs de la société par rapport à cette prise de conscience. Nous avons même démarché certains journaux à une époque ou très peu se souciaient de l’agenda culturel, afin justement de leur faire part de nos exaspérations du fait qu’ils n’accordaient pas beaucoup d’intérêt à la vie culturelle de la cité. Maintenant d’une manière générale, il y a une nette amélioration quand à la prise en charge de l’enfant ou du jeune : bibliothèques, espaces culturels sont investis par eux pour profiter de spectacles et festivals souvent gratuits. La production enfantine fait son chemin, différents acteurs investissent aussi le créneau, enfin.
Quelles sont les causes de ce retard à votre avis ?
Nous n’avons pas encore la culture de «la culture», et les difficultés de la vie aidant, les familles ont du mal a dégager un budget loisir en ce sens. Aussi, les pouvoirs publics doivent suppléer et offrir des opportunités à nos chérubins. Il faudrait aussi que le secteur privé joue le jeu en investissant dans le sponsoring ce qui aide beaucoup à la production grâce à des incitations de l’Etat par exemple. Le plus grand absent, c’est l’éducation nationale ; pour ce secteur, il est plus qu’urgent de réfléchir aux moyens d’associer son adhésion à la démarche des acteurs culturels afin d’inculquer à nos bambins les valeurs de leurs ancêtres et le respect de leur identité propre à travers la créativité locale ! Le cinéma, le théâtre, la littérature en général, le loisir éducatif, les visites de sites ou musée, la prévention dans certains domaines (ce qui fait partie de l’éducation aussi de l’enfant)… Tout cela doit s’inviter à l’école. C’est un passage obligé pour former le citoyen de demain.
Justement, quel en est l’intérêt pour
l’enfant ?
Prenons un cas concret : on parle d’opération «ville propr» par exemple, comment oublier d’y associer l’école ? On pourra par exemple décréter une journée où les enfants seront sensibilisés sur tout le territoire national, en complément à d’autres actions concrètes sur le terrain avec les pouvoirs publics, les associations mais aussi les familles. On pourrait emmener les écoliers sur les sites d’entreprises qui s’occupent du nettoyage, ou faire venir celle-ci à la rencontre des enfants… Même chose avec les corps de la police, la douane, l’armée, les pompiers et j’en passe ! le meilleur moyen, je pense pour donner confiance aux citoyens dans leurs institutions, faire comprendre leurs missions et inciter ces derniers à leur respect, c’est déjà la communication à ce niveau…
C’est donc un investissement à long therme pour la citoyenneté…
Investir dans le «capital jeunesse», c’est investir pour la prospérité, pour l’avenir de son pays. Ailleurs la jeunesse est considérée comme un capital, une ressource qui booste tous les secteurs d’activité. Investir dans l’acte de lecture, l’expression artistique quelle qu’elle soit, œuvrer pour un rayonnement culturel, c’est déjà ouvrir des voies sur l’équilibre et la cohésion sociale. L’art peut devenir une thérapie contre la violence et les fléaux sociaux. De plus, une société de tradition orale est de toutes les façons menacée quand elle ne matérialise pas sa mémoire ancestrale. De fait, c’est sa jeunesse qui devra porter son étendard, c’est à elle que revient la relève, le monde d’aujourd’hui nous fait déjà peur, quel sera celui de demain si on fait rien maintenant.
Justement, pourquoi cette peur ?
Pour ce qui est de nos «temps modernes», entrer dans le tout global avec des moyens dérisoires, ce n’est pas évident du tout avec tous les dangers qui nous guettent à travers ces «fenêtres ouvertes» sur le monde…. Nous ne sommes assurément pas prêts car nous n’avons pas encore acquis l’expérience des pays dit «avancés». Certaines cultures ont occulté leurs laissers-pour-compte, alors qu’elles vampirisent d’autres civilisations qui ne sont pas comme elles, à travers leur politique de la loi du plus fort en communication comme en économie, or l’économie est le nouveau pouvoir réel. Moi je suis plutôt chauvine, autant garder ses repères et s’enrichir auprès des autres ensuite, ça oui.
Est-ce qu’on doit élever nos enfants aux valeurs de leurs parents ou à celles que reflètent des écrans chimériques ?
Qu’est-ce qui peut être commun à un Massaï du Kenya, à un inuit du pôle Nord, à un paysan du Matin calme, à un rancher du Texas, ou encore un cadre du Soleil levant ? Assurément rien, sauf la terre qui les nourrit, cette terre si précieuse et qu’il faut protéger à tout prix si l’on veut conserver non seulement la race humaine, mais toutes les traces de vies aussi infimes soit elles. Est-ce qu’il faut forcer le pli au fer rouge pour mettre tout le monde sur la même «onde culturelle» ? On peut promulguer l’amour dans le cœur d’en enfant pour façonner le soldat de la paix de demain ! Dans le cerveau d’un adulte, la paix, il faut la payer au prix fort ou la négocier et très souvent, on ne l’obtient qu’en se faisant la guerre ! Pour moi, la culture c’est avant tout la transmission de la sagesse des anciens et leurs enseignements pour éviter le chaos à toutes les échelles.
Comment faire alors avec la jeunesse pour avoir une meilleure cohésion dans la cité ?
Vu la proportion que prend la violence dans le monde et en Algérie en particulier, il est plus qu’urgent de prendre en charge les jeunes et les enfants quels qu’ils soient où qu’ils soient. Le monde de la monnaie a bousculé toutes les règles, la société du prêt à jeter, prêt à consommer à l’excès, tout est démultiplié dans la rapidité et l’inhumanité… On vous propose des pubs sauvages pour tout, partout, on vous gave de tout et de rien, d’infos, d’images. Dans cette trame virtuelle, beaucoup flanchent et n’arrivent pas à trouver leur place, la cellule familiale s’effrite, les repères disparaissent, les rêves se brisent, les frustrations s’installent et ça fini par des drames, des crimes en tous genres… Il faut donc avoir l’œil toujours ouvert sur les générations montantes car c’est elles qui édifieront le nouveau monde, et assurément il faut y semer les meilleures graines afin d’avoir la meilleure des moissons.
Quelles sont vos activités ?
Ma personnalité, je l’ai forgée à l’image de mes divers combats dans la vie : celui pour la femme, celui pour la liberté de penser, pour la vie dans la dignité et le respect de tous, celui de la non-violence. L’enfant ? C’est tout naturellement que je vais vers lui car il est innocent, c’est un terrain fertile qui célèbre la vie… loin du monde de brutes de notre réalité, c’est une escale pour sauver son âme, se remettre en selle, respirer…
Aussi, tout gravite autour de ce combat pour la vie, j’avance toujours dans le même sens, je chante, danse et anime des ateliers de lectures-écritures, fait du travail manuel en relation avec les histoires que l’on a étudiées, on confectionne nos propres livres, on raconte notre propre histoire ensemble. Ma plus grande joie c’est quand les enfants me remettent les ouvrages qu’ils créent avec moi, de beaux livres imaginés sur place grâce à des techniques astucieuses et ludiques… C’est ça mon bonheur, mon message passe, et j’ai une raison de vivre supplémentaire !
Ma dernière expérience a été la télévision où le challenge de passer de la littérature au travail manuel en me cassant la tête sur les moyens à mettre en œuvre pour dépasser l’écran et arriver à une autre forme de créativité pour des enfants qui sont tranquillement assis dans leur salon. Cela n’a rien à avoir avec la foire d’un festival quand je fais le clown ! Je sais qu’on nous regarde beaucoup plus dans les zones rurales ou les activités manquent plus qu’ailleurs, ils s’initient ainsi dans leur cellule familiale en permettant le dialogue inter-générations. Je sais que beaucoup de personnes âgées profitent des récits que je fais, les expliquent aux petits, et quelquefois mettent les mains à la pâte pour la création manuelle… Donc pour moi, c’est «tout bénef».
Des projets ?
J’en ai plein la tête. A force d’y penser, je ne pourrai pas tous les énumérer ! En fait, faute de temps, on n’arrive pas à se consacrer à plusieurs choses à la fois, sachant que l’artiste doit travailler pour d’abord gagner sa vie, ensuite se consacrer à son rêve sans trop se brûler les ailes. Moi j’ai la tête sur les épaules et les pieds sur terre…tout vient à point à qui sait attendre. J’espère que Dieu me donnera assez de force pour aller jusqu’au bout en continuant à vivre ma passion… c’est déjà une chance que de faire un travail qu’on aime, peu importe son salaire. J’espère que Dieu me permettra de continuer le plus longtemps possible cette mission. Je vous remercie de l’attention que vous avez portée à ça ! Vraiment merci ! Que je fasse bien ou mal les choses, il y aura toujours quelqu’un qui entendra l’écho et qui viendra, je suis sûre, faire encore mieux que moi, c’est ça le but !