Sous un ciel algérois d’automne clair et serein, symbole d’un horizon partagé, le palais présidentiel a vibré ce mardi d’une énergie diplomatique palpable. Le président Abdelmadjid Tebboune a reçu en grande pompe son homologue de la République fédérale de Somalie, Hassan Sheikh Mohamud, pour une visite officielle qui marque un jalon dans les relations bilatérales entre deux nations africaines liées par l’histoire de la décolonisation et l’aspiration commune à une Afrique souveraine.
Arrivé la veille à la tête d’une délégation imposante comptant ministres, experts et hommes d’affaires, M. Mohamud a initié ce second voyage d’État en Algérie, un geste qui, selon les mots de M. Tebboune, "traduit la volonté commune de nos deux pays de consolider leur coopération et d’échanger sur les questions d’intérêt commun".
Ces entretiens, d’abord en format intime tête-à-tête avant de s’ouvrir aux délégations élargies, ont non seulement ravivé des liens fraternels mais aussi posé les bases d’un partenariat multidimensionnel, dans un contexte continental marqué par les turbulences sécuritaires et les opportunités économiques émergentes.
Dès l’aube, les protocoles d’accueil ont rappelé la profondeur de ces relations : un garde d’honneur militaire, un hymne national partagé et des échanges informels sur les terrasses du palais, où les deux leaders ont évoqué les défis communs d’une Afrique encore hantée par les séquelles coloniales. "Bienvenue à mon frère Hassan Sheikh Mohamud et à sa délégation", a lancé M. Tebboune lors d’une déclaration conjointe à la presse, à l’issue de ces pourparlers marathon. "Nous sommes pleinement satisfaits des résultats de nos concertations, qui nous permettent de passer en revue et d’échanger sur plusieurs questions aux niveaux arabe et africain". Cette satisfaction n’est pas feinte : dans un monde où les alliances se nouent et se dénouent au gré des géopolitiques volatiles, Alger et Mogadiscio réaffirment leur engagement pour une coopération sud-sud authentique, loin des ingérences extérieures.
Au cœur des discussions bilatérales, les opportunités de partenariat économique ont occupé une place prépondérante. Les deux présidents ont exploré des secteurs stratégiques comme l’énergie où l’Algérie, géant gazier africain, pourrait partager son expertise en exploration offshore avec une Somalie riche en potentiel pétrolier inexploité –, l’agriculture pour contrer l’insécurité alimentaire dans les cornes de l’Afrique, la pêche durable en mer Rouge, et l’industrie pharmaceutique pour une autosuffisance accrue en vaccins et médicaments essentiels. Mais c’est l’enseignement supérieur qui a émergé comme fer de lance de cette alliance. "Nous avons franchi une étape décisive pour intensifier notre coopération universitaire", a annoncé fièrement M. Tebboune. L’Algérie accueillera ainsi 110 étudiants somaliens pour la saison 2026-2027, une initiative pionnière qui sera étendue à des bourses en formation professionnelle, policière et en matière de défense. "Ces programmes ne forment pas seulement des ingénieurs ou des juristes ; ils forgent des ponts humains durables, essentiels pour une Afrique du XXIe siècle", a commenté un diplomate somalien en coulisses, soulignant comment ces échanges pourraient booster le transfert de compétences et atténuer le chômage des jeunes, fléau continental touchant près de 60 % de la population active sous 25 ans.
Ces engagements théoriques ont rapidement pris chair lors d’une cérémonie solennelle de signature d’accords, coprésidée par MM. Tebboune et Mohamud au cœur même du palais présidentiel. Un mémorandum d’entente a été paraphé entre le ministère algérien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et son homologue somalien de l’Éducation, de la Culture et de l’Enseignement supérieur, assorti d’un programme exécutif couvrant les années 2026 à 2029. Ce cadre structuré prévoit des échanges d’enseignants, des programmes conjoints de recherche en biotechnologies et une plateforme virtuelle pour les cours en ligne, un atout précieux pour une Somalie encore en reconstruction post-conflit. Parallèlement, les gouvernements ont scellé un accord global en agriculture et pêche, visant à moderniser les chaînes de valeur halieutiques et à introduire des variétés résistantes à la sécheresse en Somalie, inspirées des techniques sahariennes algériennes. Un pacte spécifique en santé animale complète ce volet, ciblant la lutte contre les épidémies zoonotiques qui ravagent les troupeaux est-africains.
L’énergie et les mines n’ont pas été en reste : un accord trilatéral sur le pétrole, le gaz et l’exploitation minière ouvre la voie à des joint-ventures pour explorer les bassins sédimentaires somaliens, potentiellement riches en gaz naturel liquéfié (GNL), avec un soutien technique algérien via Sonatrach. Enfin, une mesure pragmatique et symbolique : l’exemption de visa pour les détenteurs de passeports diplomatiques, qui fluidifiera les visites officielles et les négociations futures, marquant une confiance mutuelle accrue dans un continent où les formalités bureaucratiques freinent souvent les dynamiques régionales. "Ces signatures ne sont pas des bouts de papier ; ce sont les fondations d’une prospérité partagée", a résumé un conseiller présidentiel algérien, évoquant un potentiel économique de plusieurs milliards de dollars sur la décennie, dopé par les infrastructures portuaires somaliennes et les gazoducs maghrébins.
Au-delà des volets bilatéraux, cette visite a servi de tribune pour une diplomatie régionale affirmée. Les deux leaders ont réitéré un soutien "inébranlable" à la cause palestinienne, réaffirmant le droit du peuple palestinien à "l’indépendance et à l’établissement de son État sur les frontières de 1967, avec El-Qods pour capitale". Dans un contexte où les tensions au Proche-Orient s’envenment, cette position commune partagée par l’Union africaine et la Ligue arabe renforce le rôle d’Alger comme porte-voix des non-alignés. "La convergence de nos vues sur la Palestine est un pilier de notre fraternité", a insisté M. Tebboune, rappelant les résolutions onusiennes et l’appel à un cessez-le-feu immédiat.
Les dossiers chauds n’ont pas été éludés. Sur la Libye, voisine et partenaire stratégique de l’Algérie, l’accent a été mis sur "l’importance d’une solution politique inclusive, à travers des élections libres permettant l’avènement d’institutions légitimes".
Les présidents ont plaidé pour la préservation de l’unité libyenne, la souveraineté de son peuple sur son territoire et la cessation des ingérences étrangères un clin d’œil aux acteurs turcs, émiratis et égyptiens qui alimentent les fractures. Pour le Soudan, théâtre d’une guerre civile dévastatrice depuis 2023, M. Tebboune a dénoncé une "véritable tragédie humanitaire" exacerbée par "des ingérences flagrantes visant à attiser la discorde". "Nous rejetons catégoriquement ces interventions aux conséquences désastreuses, qui violent les principes de solidarité arabo-africains", a-t-il déclaré, appelant à une médiation africaine renforcée pour restaurer la paix dans ce géant du Nil, où plus de 10 millions de déplacés errent dans le chaos.
Ces échanges, élargis aux enjeux arabes et africains, positionnent l’Algérie comme un médiateur incontournable. Historiquement, les liens algéro-somalien remontent aux années 1960, quand Alger accueillait les exilés somaliens fuyant les dictatures et formait les cadres de l’Union africaine naissante. Aujourd’hui, dans une Afrique confrontée à la piraterie en mer Rouge, au terrorisme d’Al-Shabaab et aux famines récurrentes, cette visite pourrait catalyser une "alliance du Nord-Est" : des corridors commerciaux sécurisés aux initiatives anti-famine. Des analystes comme ceux de l’ISS (Institute for Security Studies) y voient un contrepoids aux influences chinoise et russe en Afrique de l’Est, avec Alger comme pivot maghrébin.
En clôturant cette journée diplomatique intense, Tebboune n’a pas caché son optimisme : "Nous appelons de nos vœux davantage de coopération et de partenariat pour le bien de nos deux pays frères".
Pour la Somalie, encore fragile après des décennies de guerre civile, cette embrassade algérienne offre un bouclier économique et un modèle de résilience. Pour l’Algérie, locomotive nord-africaine, c’est l’occasion d’étendre son influence continentale, au-delà des frontières sahariennes. Dans un continent assoiffé de stabilité, où l’UA peine à imposer ses normes, Alger et Mogadiscio tracent une voie audacieuse : celle d’une Afrique unie, par les actes plus que par les mots. Reste à suivre l’implémentation de ces accords – un test décisif pour une diplomatie qui mise sur la solidarité comme arme ultime.